Beauté sauvage: Une aventure au mont de l’Équerre

Bivouac au pied de l'Équerre | Photo: Hugo Drouin

Par Hugo Drouin

Ce n’était pas le tonnerre.

Comme chaque printemps, des mastodontes de glace se décrochaient de la Pomme d’or et créaient un vacarme assourdissant en se fracassant violemment contre le rocher plus bas. Avec une régularité alarmante, des dizaines d’obus congelés se séparaient de la plus grosse cascade de glace de l’Est du continent et se précipitaient vers notre abri en arrachant les arbres à leur passage.

Qu’est-ce qui avait bien pu passer par la tête à Patrick Brouillard, Charles Lacroix et moi pour venir grimper au mont de l’Équerre au pire moment imaginable de l’année?

L’été précédent, j’avais eu la chance de faire partie d’un groupe de grimpeurs de Québec qui avaient exploité le potentiel en nouvelles longues voies d’aventure des parois charlevoisiennes. En 2015, pas moins de quatre nouvelles voies traditionnelles ont été inaugurées sur autant de falaises des Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie : Contorsions, L’Envol du Monarque, Renaissance et Traces de Passage. Avec la redécouverte de la Félix-Antoine la même année, on parle de plus de mille mètres d’escalade inédite qui impose par son envergure, sa beauté et son caractère sauvage! J’étais particulièrement fier de l’ouverture de Renaissance, un nouveau tracé du mont de l’Équerre où j’avais partagé les longueurs en tête avec Patrick Brouillard. Il s’agissait de la première nouvelle voie d’escalade de rocher documentée depuis plus de quarante ans sur cette falaise mythique qui abrite aussi la Loutre, la Pomme d’or et Redcoat’s Resurrection.

L'Équerre au printemps | Photo: Hugo Drouin

L’Équerre au printemps | Photo: Hugo Drouin

Pendant l’hiver, les ambitions de notre cercle d’amis n’ont fait que grandir. Nous avons continué à rêver à sortir des sentiers battus comme l’avaient fait avant nous les pionniers de l’escalade au Québec. Un plan grandiose se démarquait des dizaines d’idées qui s’entrechoquaient dans nos têtes. On aspirait à ouvrir une nouvelle voie de grand mur sur un pilier vierge du fameux mont de l’Équerre.

des centaines de mètres d’escalade vertigineuse et parsemé de surplombs et de toits effrayants
Nos reconnaissances dans les Hautes-Gorges nous avaient permis d’identifier rapidement une ligne des plus attrayantes. Trônant au-dessus d’un pierrier sauvage, offrant potentiellement des centaines de mètres d’escalade vertigineuse et parsemé de surplombs et de toits effrayants, le pilier de nos rêves évoquait une version encore plus sévère du Cap Trinité! Une grande aventure se profilait!

Ce trésor, cette beauté sauvage, nous paraissait si naturel, si intéressant, qu’il pouvait attirer l’attention d’autres équipes motivées. Enivrés par la possibilité de goûter à nouveau aux joies d’une première ascension, nous ne voulions pas nous faire ravir ce prix par nos concurrents, qu’ils soient réels ou imaginaires. Dès le printemps, Charles, Patrick et moi devions être les premiers à tâter le rocher sauvage de la rivière Malbaie.

Patrick Brouillard lors d'une période de beau temps | Photo: Hugo Drouin

Patrick Brouillard lors d’une période de beau temps | Photo: Hugo Drouin

Aussitôt la route des Montagnes raisonnablement carrossable, notre trio a donc pris le chemin des Hautes-Gorges. Plusieurs allers-retours en canot et la majeure partie de la nuit ont été nécessaires pour transporter nos deux lits de parois, nos trois sacs de hissage et le reste de la quincaillerie dans le pierrier instable de l’Équerre.

Le beau temps du lendemain annonçait un projet qui se déroulerait tout en douceur. Après l’approche chargée, j’ai assuré Patrick qui a réussi la première longueur en négociant brillamment avec la protection parcimonieuse de la base de la falaise.

J’étais loin de me douter que mon aventure allait se transformer en jeu de roulette russe.

En agrippant la prise clé de la longueur initiale, j’ai arraché un bloc qui a volé à quelques centimètres de ma tête. La peur s’est installée. J’avais beau être en forme, je me sentais loin du gym! Avec une précaution infinie, j’ai délogé un autre bloc instable, qui avait manifestement lui aussi servi de prise à Patrick. En la faisant glisser prudemment vers le sol, cette bombe à retardement a échappé à mon contrôle, a accéléré et a elle aussi frôlé mon casque.

Je suis parvenu à rejoindre mon compagnon au relais, mais je n’avais plus de plaisir. Marqué psychologiquement, ma contribution pour le reste de la première journée s’est limitée à la gestion de l’équipement et à la bonne compagnie. Pendant ce temps, Charles et Patrick ont empoché un long dièdre technique et franchi un premier toit spectaculaire.

La pluie de la deuxième journée nous a empêchés de pousser les cordes fixes beaucoup plus haut. Pendant que je recouvrais mes forces au camp de base, Charles et Patrick sont partis à Clermont pour faire sécher leurs vêtements et manger une bouchée.

Affaibli, j’espérais qu’une bonne nuit de sommeil puisse enfin me raviver.

Après un long combat, le toit de mon abri précaire s’est finalement arraché
Ma troisième nuit au mont de l’Équerre a été infernale.

Dans un cauchemar éveillé rythmé par les soubresauts de la Pomme d’or qui se dématérialisait, une tempête s’est levée. Le vent hurlant a fait osciller violemment ma tente jusque là cramponnée à une roche plate du pierrier. Après un long combat, le toit de mon abri précaire s’est finalement arraché et la pluie déchaînée s’est mise à infiltrer mes vêtements et mon sac de couchage.

Le dernier rappel dans des conditions pour le moins humide | Photo: Hugo Drouin

Le dernier rappel dans des conditions pour le moins humides | Photo: Hugo Drouin

Paradoxalement, malgré ma misère et ma solitude, j’étais soulagé. À leur retour du village, mes amis allaient assurément se résoudre à remettre la fin du projet.

Mais rien ne venait ébranler l’enthousiasme de Charles et de Patrick pour arracher un nouveau tracé à l’Équerre. Pas le manque de sommeil. Ni l’hypothermie imminente. Pas les projectiles de glace et de roche. Ni l’ampleur du projet. Pas même le gros bon sens.

Les deux lurons avaient dormi au chaud et étaient motivés comme jamais.

Au début de cette troisième journée j’ai continué à faire ma part avec le transport de l’équipement. Alors que, suspendus dans le vide cent mètres au-dessus de moi, Charles et Patrick s’affrontaient à roche-papier-ciseaux pour déterminer qui allait prendre la quatrième longueur, la pluie s’est intensifiée et s’est transformée en neige abondante. À mon grand soulagement, l’équipe a finalement décidé de s’éloigner de l’environnement hostile de la vallée et de remettre la fin du projet à un moment plus favorable.

Charles Lacroix, avec un couvert de neige au sol | Photo: Hugo drouin

Charles Lacroix, avec un couvert de neige au sol | Photo: Hugo Drouin

J’ai passé les deux mois suivants à soigner mon choc post-traumatique en parcourant les tracés modérés et relativement plus propres du Grand Morne. Au début juillet, je téléphone à Patrick pour prendre des nouvelles. Peut-être était-il déjà retourné une fois ou deux dans la vallée pour essayer de dompter ses beautés sauvages?

Salut Pat! Ça va? Quoi de neuf?
Ça va super bien. On est déjà rendus à vingt-deux jours dans les Hautes-Gorges cette année! Les projets tombent les uns après les autres!

HEIN?! QUOI!? Je veux absolument en savoir plus!

À suivre…

2 Comments on "Beauté sauvage: Une aventure au mont de l’Équerre"

  1. 22 jours au compteur, ça en fait des heures de marche d’approche en ces contrées sauvages !

  2. Oui PA beaucoup de temps à se gambader en forest et donner du béta d’approche à un peu tout les crinqués qui s’aventurent dans les HG pour la première fois.

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