Par Aurélie Suberchicot
Grimper avec une seule main ou sans l’aide de vos deux jambes. Ou encore grimper à l’extérieur, en tête et à l’aveugle. Ou encore retourner faire de l’alpinisme après une double amputation des jambes.
Ça vous semble impossible ?
Dans le monde du handi-escalade , ou paraclimbing, les possibilités d’inventer des solutions sont infinies. Tout d’abord, de quoi parle-t-on ? Le terme handi-escalade désigne la pratique de l’escalade par des personnes ayant un handicap physique, dans un contexte compétitif. Il a fallu attendre 2005 pour que les premières compétitions nationales aient lieu au Japon, en Italie et en Russie. Par la suite, c’est à Moscou en 2008 que la première compétition internationale organisée par l’International Federation of Sport Climbing (IFSC) a eu lieu, avant d’accueillir en 2011 le premier Championnat du monde de paraclimbing à Arco, Idaho (USA). Depuis, le nombre de compétiteurs n’a cessé d’augmenter. Jusqu’à cette année (2019), les compétitions internationales de para avaient toujours lieu en même temps que le Championnat du Monde d’escalade, donnant à la discipline une visibilité hors norme pour un para-sport (en 2019, le Championnat du monde de para aura lieu à Briançon, alors que le Championnat du monde d’escalade aura lieu à Tokyo). Ce sont 172 athlètes du monde entier qui se donneront rendez-vous à Briançon cette année ! Désormais, le handi-escalade fait partie des compétitions de grimpe. C’est un réel plaisir de voir les compétiteurs de para avoir la même tribune que les grimpeurs, soit quelques 8000 personnes dans le public pour les finales du championnat du monde de Bercy (Paris) en 2016. On peut se réjouir que le paraclimbing ou handi-escalade est une discipline largement inclusive et de plus en plus reconnue auprès des grimpeurs et du public de l’escalade sportive.
Comment juger des compétiteurs dont les handicaps peuvent être très différents d’une personne à l’autre ? Les règlements de l’IFSC établissent 5 catégories (à noter que les règlements sont actuellement en processus de révision et les catégories indiquées ici sont issues des règlements actuels):
– amputé d’un membre supérieur
– amputé d’un membre inférieur
– non voyant
– paraplégique
– handicap neurologique léger
Ensuite chacune de ces catégories et sous-divisée en d’autres catégories, classées en fonction du degré de handicap. Par exemple dans la catégorie « amputé d’un membre inférieur » on divise le groupe en deux, avec les grimpeurs amputé d’une jambe d’un coté et les grimpeurs en fauteuil roulant de l’autre.
Qui sont ces grimpeurs hors normes ? Vous viendra surement en tête le nom de la grimpeuse badass Maureen Beck, adepte de bieres et de cupcakes, née sans sa main gauche, dont le portrait a été diffusé via le court-métrage « Stumped » durant la tournée du Reel Rock Tour 12 en 2017. Celle qui déteste le mot « inspirant » pour désigner sa condition, s’obstinait dans ce film sur une voie, en tête et en 5.12. On va spoiler un peu : elle arrive à enchaîner après environ 74 essais… D’autres grimpeurs gagnent également à être connus, ayant fait de leur situation un avantage et la source d’une sacré combativité. Vous connaissez peut être Philippe Ribière, le français qui s’est battu pour que le handi-grimpe gagne ses lettres de noblesse en France et ensuite au niveau international, Nicolas Moineau, aveugle et qui enfile du 5.11d (« Folie douce »), en tête et au deuxième essai (en plus d’avoir été champion du monde en 2016), Hugh Herr cet alpiniste américain amputé des deux jambes à cause d’engelures, désormais chercheur au MIT et qui a créé des prothèses permettant de continuer l’alpinisme et même d’améliorer ses performances. Je pourrais aussi parler de Ivàn Germàn, l’espagnol qui grimpe du 5.13d (« Excusometro », 8b) avec une jambe en moins, ou l’anglaise Hannah Baldwin championne du monde en 2018.

Photo: Bezhad Damghani
Malheureusement nous sommes très très en retard. Pour le moment aucune structure officielle n’a embarqué dans l’handi-escalade. La canadienne Kate Sawford qui avait gagné la médaille d’argent en 2018 au Championnat du Monde d’Innsbruck, en Autriche, a participé à titre personnel, en bénéficiant de l’aide de sponsors et de fondations, et non pas de la fédération canadienne d’escalade (CEC). Alors que nos voisins directs (USA) ont déjà intégré le paraclimbing au sein de la fédération américaine et organisent chaque année des compétitions provinciales ainsi qu’un championnat national qui sert aussi de sélection pour le circuit international, pour l’instant le para-escalade ne fait pas partie des actions du CEC. Les initiatives sont donc privées, sporadiques et non intégrées, le circuit compétitif n’existe pas.
En Colombie Britannique a été lancé en 2017 l’organisme Canadian Adaptive Climbing qui permet une pratique de loisir et grandit à vue d’oeil. Initiée par un guide certifié ACMG qui a construit les différents systèmes , l’organisme multiplie les activités en intérieur mais aussi à l’extérieur. Ici au Québec nous avons mis en place Accès Grimpe en 2018 pour pallier au manque. La demande est présente et nous faisons face à une vaste page blanche ou tout reste à écrire. Les systèmes pour débuter l’escalade, les installations sportives, la pédagogie auprès des salles d’escalade et le lien avec les autres réseaux de para-sports, tout est à faire. Heureusement, le réseau paraclimbing est très solidaire et nous avons la chance d’aller chercher des infos du côté de Paradox Sport, de USA Climbing (fédération américaine d’escalade sportive) ou même de la Fédération Française de Montagne et d’Escalade.Les grimpeurs sont présents et prennent vite la piqûre !
L’handi-escalade est en plein essor, tout comme l’escalade. Je vous invite à aller jeter un oeil sur des compétitions ou aux parcours de grimpeurs qui, à défaut d’être « inspirants » (rajouter ici un soupir d’admiration un peu niais), auront le mérite de vous encourager à vous pousser aux fesses lors de votre prochaine séance.
Bonne grimpe !
NDLR
Je tiens à souligner le fait que MEC offre désormais des produits adaptés à l’handi-escalade. Comme quoi il devient normal d’être différent.
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