De la rue Maguire aux plus grands murs québécois

L'auteur, Stéphane Lapierre, et Claude Bérubé à Rivière-du-Loup | Photo: Claude Duguay

Par Stéphane Lapierre

Au début des années ’80, je me rendais régulièrement dans une boutique, sur la rue Maguire, à Sillery, la seule boutique qui vendait du matériel d’escalade dans la région de Québec. Avec un maigre budget de garçon de 13 ans, je visitais la boutique de Claude Bérubé plus pour regarder et scèner que pour acheter. Mais ce que j’aimais encore plus, c’était d’écouter et feeler ce qui émanait des histoires de Claude et de certains des visiteurs. Je me souviens encore très clairement d’une conversation entre René Boisselle et lui à propos du cran des Érables. Je me souviens aussi du cap Trinité, des voies de glace de la Malbaie, de ces nouveaux produits (le Gore-Tex, les bottes de glace à coque plastique, les vis à glace à ratchet de Lowe, etc).Je me souviens du Denali, de El Cap et du Half Dome (que Claude avait gravi clean, c’est-à-dire sans piton!). Il me permettait de découvrir le monde de l’escalade à 13 ans, 15 ans avant l’apparition d’Internet et 10 ans avant les premiers gyms intérieurs.

Les années ont passé. J’ai ramassé mes sous et Claude m’a vendu mes premiers piolets. Mes premiers crampons. Du haut de mes 17 ans, avec mon copain Francis, je préparais ma première visite dans les Hautes Gorges de la Malbaie. Nous voulions gravir la Pomme d’or. Loin de me décourager, Claude me donnait des trucs. «Si tu peux enchaîner la Congelée, le Pilier de cristal et le Pilier direct dans la journée, t’es prêt pour la Pomme. Mais ça va te prendre un casque, parce que quand le soleil tape dans la Pomme le matin, y’a parfois d’immenses stalactites qui se transforment en missiles!». Je me suis acheté un casque.

J’ai fait la Congelée, le Pilier de cristal et le Pilier direct dans la journée. Note ascension de la Pomme était prévue au cours de la relâche du cégep, début mars. Claude y avait été deux semaines plus tôt et m’avait raconté : une première longueur de bonne glace; une traversée mixte, mais facile; une rampe de glace très mince (ça prend des pros de roche!); un pilier solide malgré une fissure à sa base; les rappels à la frontale. Tout était comme il me l’avait conté. Mais en plus gros, en plus long et en plus dur. Une des plus belles et des plus terrifiantes journées de ma vie. Claude m’avait aussi parlé du futur en me disant de garder un œil sur le grand dièdre glacé et déversant à droite de la Pomme. Cette ligne m’a obsédé dès que je l’ai vue. Claude savait lire l’avenir (plus de détails en cliquant ici).

Francis Côté au pied de la Pomme d’or en mars 1987 | Photo: Stéphane Lapierre

À 30 ans, j’ai essayé de terminer la ligne directe du Vers solitaire (300 m, 5.9, A2), au cap Trinité. Dans cette voie ouverte en solo par Claude en 1975, il y avait un piton et un mousqueton qui marquaient l’endroit où il avait abandonné l’idée de sortir directement dans le head wall (après une grosse chute) et fait un rappel pendulaire vers la droite pour rejoindre une sortie plus facile. J’ai arraché le piton à mains nues. Je n’ai pas sorti le head wall moi non plus. Mais j’ai gardé précieusement le piton et le mousqueton.

En route vers le Vers solitaire, au cap Trinité à la fin des années ’90 | Photo: Richard Cartier

À 50 ans, à l’occasion d’un festival d’escalade de glace à Rivière-du-Loup, j’ai décidé de redonner à Claude son piton et son mousqueton. En même temps, je lui ai donné une lettre contenant une déclaration d’amour. Pour le remercier du rôle qu’il avait joué dans ma vie. Comme modèle. Comme mentor. J’ai eu le privilège de faire pleurer mon idole de jeunesse. J’ai aussi eu le plaisir qu’il me prenne dans ses bras. Le lendemain, nous avons grimpé ensemble pour une première fois. Le lendemain, nous avons aussi grimpé ensemble pour une dernière fois. Quelques jours plus tard, Claude recevait un diagnostic de cancer. Il nous a quittés à la fin de 2021.

Claude et moi à RdL | Photo: Claude Duguay

Claude est l’auteur de plusieurs grandes premières dont les Grand Galais au cap Trinité, le plus connu des big wall québécois et la Loutre, la première voie de glace de ce calibre ouverte dans l’Est de l’Amérique du Nord. En parcourant la mise à jour 2022 du Guide des cascades de glace et voies mixtes du Québec pour le Parc national des Hautes-Gorges-de-la-rivière-Malbaie, vous pourrez en apprendre plus sur la Loutre, mais aussi sur plusieurs autres itinéraires du parc. Claude a joué un rôle majeur dans le développement de l’escalade dans la vallée de la Malbaie, été comme hiver. Si vous allez au cap. Si vous allez dans la Malbaie. Écoutez bien. Peut-être pourrez-vous entendre l’écho de son rire qui se réverbère toujours sur les parois. Peut-être pourrez-vous sentir sa présence dans ce grand dièdre du cap Trinité, sur l’un des murs de glace de l’Équerre ou au sommet de l’Acropole.

Patrice Beaudet devant le cap Trinité | Photo: Stéphane Lapierre

Salut Claude!
Merci pour tout.

1 Comment on "De la rue Maguire aux plus grands murs québécois"

  1. Merci beaucoup pour ton article Stéphane.

    Claude était un grand héros pour moi aussi et je lui doit, avec Régis, une grosse partie de mes plus belles aventures. Je suis un peu envieux que tu ais eu le privilège de grimper avec lui!

    Pour moi, il n’y a aucun doute que les modestes aventures que Gaetan et moi avons vécus étaient totalement inspirées par celles de la cordée Richard/Bérubé. Ils ont toujours été nos héros.

    Quand je l’ai revu pour la dernière fois, aux funérailles de Gaétan, je lui ai avoué cette grande admiration et, comme toi, sa modestie et sa gentillesse m’ont sonné. Quel homme!

    Merci encore une fois de nous l’avoir rappelé.

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