Deux nouvelles voies sur le Gros-Bras tout juste à temps pour le Trad Pow Wow !

PA dans la traverse qui marque le début de la 3e longueur de la voie Le troisième lien sur le Gros-Bras, Parc National des Grands-Jardins. Photo: Marc-Olivier Arcand

Par Pierre-Alexandre Paquet

Le Gros-Bras est parcouru d’une douzaine d’itinéraires de difficulté modérée (moins de 5.10). Cet article donne des précisions au sujet de l’ouverture à partir du bas et du tracé de deux nouvelles voies, dont l’une offrant ce qui est à mon goût la plus belle longueur en 5.8 de la montagne après Valérie Rêverie. L’autre voie a aussi beaucoup de caractère : elle offre une aventure sauvage dans un 5.10 abordable avec en alternance des passages de cheminée et des pas plus aériens.

Samedi le 1 septembre 2018. Le décompte précédant le Trad Pow Wow amorcé, j’ai cru bon aller purger de ses blocs les plus instables et dangereux la voie Jeu de jenga ouverte en compagnie d’Alain Simard et de Charles Lacroix deux ans auparavant, lors de l’édition 2016 dudit TPW. À 7h40, j’embarque Marc-Olivier Arcand, mon partner pour la journée, et à 8h, dès l’ouverture, nous sommes dans les rayons du Canadian Tire de Beauport à débattre du rapport qualité-prix des barres à clou/pieds de biche qui s’y trouvent. Notre grimpe commencera assez tard après plusieurs autres arrêts pour le café, la gazoline, les p’tites sandwiches, pis toute, pis toute.

Considérant l’heure, pas le temps de niaiser. Nous décidons de grimper Sinus sur quelques longueurs avant de redescendre dans Jeu de jenga et de se mettre au travail. Une fois la première longueur gravie, je remarque les évidentes fissures qui scindent le mur de gauche, juste au-dessus des pitons du premier relais. Le problème c’est que Marc-O et moi ignorons encore s’il est possible de tourner le coin là où les fissures s’arrêtent dans le but de rejoindre le dièdre de Jeu de jenga. Je décide d’y aller malgré ces informations manquantes : si ça pouvait bien passer, nous sauverions un temps fou, de la grimpe inutile dans Sinus en tirant du matériel lourd et des rappels compliqués. Ce qui allait devenir la première longueur de la voie Le troisième lien emprunte deux sublimes, quoique courtes fissures à mains entrecoupées d’un pas à gauche qui, lui, est agrémenté de prises franches. Au final, le coin se contourne facilement sur la gauche. Il y a même une petite vire confortable pour le relais qui se pose dans un dièdre affamé de protections (c’est le dièdre de Jeu de jenga au-dessus de la section lousse). Comme la nature fait bien les choses parfois ! La longueur est courte (15m) mais la grimpe y est d’excellente qualité. Pour ceux qui souhaitent continuer dans la voie Le troisième lien, le relais s’impose à cause du tirage. Sinon vous pouvez envisager de continuer dans Jeu de jenga et faire le relais 10-15 mètres plus haut sur une petite vire gazonnée. À cette hauteur, les rochers instables qui donnent la cotation « X » à Jeu de jenga se trouvent déjà sous vos pieds. Enchaîner la prochaine longueur de Jeu qui comporte une dalle technique et une traversée aérienne aboutissant dans Sinus devient donc une proposition intéressante et sécuritaire.

Mais laissez-moi revenir à mon récit. En rappel depuis notre relais dans le dièdre, Marc-O et moi sommes descendus dans la longueur cotée « X » de Jeu de jenga dans la but de la purger, de la regrimper et de réévaluer les risques. Le tracé de la voie Jeu passe d’abord par une face dont les réglettes sont un peu fragiles – la qualité du rocher y est douteuse – et pour certains rétablissements il faut utiliser les marches inversées qui se trouvent par-dessus son épaule droite, dans la partie surplombante, celle qu’on essaye d’éviter le reste du temps. Les premiers mètres du dièdre au-dessus des marches inversées sont formés d’énormes blocs empilés de façon précaire sur des blocs plus petits qui sont visiblement pourris. Il est impensable de purger ce secteur de façon sécuritaire. Nous avons tout de même pu retirer les blocs qui nous semblaient mettre le plus en danger la sécurité des grimpeurs, c’est-à dire les blocs qui bougeaient dès que nous y mettions la main. On parle de 7-8 pierres de 20 à 100 livres chacune. Par contre un grimpeur qui dévierait ne serait-ce qu’un petit peu de la voie pourrait s’exposer à d’éventuelles chutes de pierre. Et je ne peux prédire ce que le gel-dégel fera au rocher. C’est pour cela que ne recommande toujours pas la voie et maintient la cotation « X » telle qu’elle figure au topo en dépit de la purge récente.

Mais comme je le décrivais plus haut, le relais de la deuxième longueur de la voie Le troisième lien se situe au-dessus de cette section et le rocher au-dessus est 100% solide, autant dans Jeu de jenga que dans Le troisième lien. La suite de la description de la voie Le troisième lien se trouve plus-bas dans une forme plus « topographique » que narrative. Vous verrez aux superlatifs que j’emploie que je ne doute pas de la qualité de ma nouvelle voie !

Je tiens aussi à ajouter que l’une des raisons qui m’a poussé à explorer plus loin la voie Le troisième lien découle d’une autre ascension en libre réalisée plus tôt cet été et dont je n’ai pas vraiment parlé jusqu’à maintenant. Avec ma complice en toutes choses, Audrey Julien, j’ai vécu beaucoup d’émotions fortes le 2 juillet en redécouvrant une voie jadis tentée par nul autre que Gaétan Martineau. Or cette tentative de première s’était conclue pour Gaétan et son partenaire en un gros accident. Deux pitons sont encore en place dans la deuxième longueur suggérant que ma contribution originale se limite à la traverse de la troisième/quatrième longueur permettant de rallier la cheminée que croise les « deux stimulateurs ». Ça et avoir libéré quelques moves, peut-être, j’en sais rien. La voie commence dans la pente qui monte vers Stimulateur cardiaque. La protection est précaire dans ce départ et je conseille d’amener une brosse de métal pour les prises de pied qui sont particulièrement gluantes. L’autre point de repère, c’est un arbre tordu qui frôle la voie au départ. 3-4 mètres plus haut, le rocher est déjà moins sale. Lors de notre ascension, l’eau coulait à l’intérieur de la cheminée et de la fissure de la troisième longueur. Je ne peux expliquer comment nous y sommes parvenus sans prendre de chute ! J’estime que les difficultés sont dans le 10-. Il s’agit de cheminées couronnées de blocs formant des petits toits. L’ambiance y est très sauvage ! La voie mérite d’être grimpée sans modération. Gros cams utiles selon moi.

DESCRIPTION DES VOIES

En bleu, Pilote de brousse ; en rose, Le troisième lien. Image tirée du topo de Ben Dubois.

Le troisième lien
PA Paquet et Marc-Olivier Arcand, 1 septembre 2018
L1 : longueur partagée avec Sinus. Il faut prendre le premier petit coin à gauche, directement sous la vire végétée et les petits arbres. La fissure en demi-lune sur le mur lisse à gauche du petit coin vous révèle où c’est. L’autre option quelques mètres plus loin à droite débouche sur une dalle qui ne se protège pas, un peu à droite sous la vire et les prochains arbustres. Relais dans le dièdre quand on a passé toute la végétation. Deux pitons sont en place mais il est aisé d’ajouter des protections (fortement recommandé).

L2 : Les fissures à mains directement au-dessus des pitons. Un pas de traverse à gauche entre les deux bouts de fissures parfaites. Tourner le coin à gauche. Ne pas remonter le dièdre (c’est Jeu de jenga). Faire un relais aussitôt arrivé dans le dièdre. La vire est confortable pour deux. Courte longueur, environ 15m. Relais important pour éviter le tirage dans la longueur suivante.

La fissure se poursuit sur près de 50m

L3 : 50m. Voir les photos. Prend tout type de protections. À mon œil, il s’agit de la plus belle longueur du Gros Bras en 5.8 après Valérie Rêverie. Relais intermédiaires possibles. Du relais, traverser horizontalement le mur exposé vers la gauche. Prises franches. Un bloc douteux, ne pas protéger derrière. Remonter la fissure noire qui se poursuit de façon plutôt rectiligne (vers la droite quand ça s’impose) jusqu’à une grande vire parsemée de petits feuillus. La mousse noire dans la fissure suggère que la voie peut être glissante le lendemain de grosses pluies. Au bout des fissures, un mouvement de dalle vers la gauche, puis une tale de bleuets qu’on doit enjamber avant d’aller monter un relais dans une fissure verticale de 0.5 pouce de largeur, très évidente.

L4-5 : 50m. La longueur 4, ou les longueurs 4-5 si on fait un relais intermédiaire pour diminuer le tirage, aboutit, ou aboutissent, sur une dernière longueur qui est plus difficile que les précédentes (5.9+ au moins, ou 10a?). Si vous voulez grimper Le troisième lien tout en 5.8, il faut terminer par la rampe de Sinus. Auquel cas le nom de la voie prend tout son sens : un nouveau passage entre deux zones au trafic plus dense 😉 Sinon c’est comme suit :

Du relais, partir directement au-dessus en suivant la fissure verticale puis le coin à gauche de la dalle non protégée (5.7 R – le coin ne se protège pas plus! mais il est plus prisu). Possible d’éviter en traversant en apnée dans des buissons épais à gauche, mais mieux vaut rester sur le rocher. Passer les arbres jusqu’à un mur vertical, marcher à sa base vers la gauche jusqu’à une fissure large dont la forme rappelle vaguement un Y. Déplacer le relais ici avant de continuer est une bonne idée. L’autre option c’est de faire fi de la protection sur les prochains 20m, lesquels sont peu inclinés, question d’éviter le tirage (5.6 R). Plus haut on rejoint une fissure coupée au laser qui est large au début, puis large comme la main quand elle se redresse (seule protection nécessaire, passage en 5.7 ou 5.8). Cette fissure est bien celle à quelques mètres à droite du gros dièdre. Bien sûr en déplaçant le relais au pied de la large fissure en Y le facteur de tirage serait plus négligeable et il serait possible de protéger normalement. Le relais se fait sur la vire aux petits sapins… sur les petits sapins comme tel dans notre cas.

Dernière longueur : le dièdre-cheminée avec sa magnifique fissure qui scinde un petit toit de quelques pieds d’avancée au faîte de la paroi. Magique ! Cette section était mouillée lors de notre ascension et j’étais content d’avoir un #4 pour protéger. Or si c’est sec et donc moins sketch au feeling, possible de s’en passer. La protection plus bas n’est pas loin et elle est béton. Mains, poings, chicken wings, vous allez vous régaler!!

On a fait le reste au plus facile et en souliers d’approche, mais quelques ressauts dans le 5.3-5.4 restent à franchir avant de pouvoir rejoindre le sommet et le sentier de descente.

Pilote de brousse

L1 : Départ dans la pente juste avant d’arriver sous l’énorme toit de Stimulateur cardiaque. La section des cheminées est bien visible 15m au-dessus. Rejoindre la cheminée. Faire un relais après un premier passage difficile (5.9 old school? 5.10?). L’idée c’est de récupérer les protections avant le prochain passage qui est tout aussi costaud 😉

L2 : Tirer le deuxième crux (5.10) et faire un relais. On peut sans doute doubler les deux premiers pitches qui sont très courts. Mais gare au tirage dans ce cas !

L3 : Fissure verticale, d’abord propre, puis ça se gâte, mais c’est moins vertical. Au moins on gagne en prises de pied ce qu’on perd en propreté. Passage très intéressant quand c’est mouillé !

L4 : S’élever de quelques mètres dans un petit dièdre au-dessus du relais avant d’entamer une interminable traverse. Gare au tirage et à certains blocs qui jonchent la rampe de la traverse (on les évite facilement). La traverse abouti dans une autre cheminée qui est, je crois, commune avec « les stimulateurs ». Gros cams utiles à ce point-ci. Quelques mètres plus haut, relais sur scellements sur la droite de la fracture qui fait suite à la cheminée.

L5 : Un peu vers la gauche au début puis tout droit. Surtout en dalle. Quand ça devient plus vertical et qu’on doit choisir soit à gauche, soit à droite d’un bombé, mieux vaut prendre l’option qui paraît la plus difficile, car c’est là que c’est le plus facile !!

Fin : Pour la suite, finir dans Le troisième lien paraît logique. La finale dans le dièdre-cheminée décrite plus haut demeure fidèle à l’esprit de la voie et pareil pour la cotation.

Bonne grimpe !

3 Comments on "Deux nouvelles voies sur le Gros-Bras tout juste à temps pour le Trad Pow Wow !"

  1. Mozusse, quelques coquilles se sont glissées dans le texte… bah ! 😐

    Par contre, ce qui manque dans mon texte, c’est le « lien » entre Pilote de brousse et Le troisième lien : j’annonce qu’il y en a un, mais je ne l’explique jamais clairement. L’affaire, c’est que je souhaitais trouver une nouvelle sortie pour finir Pilote de brousse ; avec Audrey, je n’avais pas eu le temps de me rendre jusqu’en haut !! Maintenant il existe une sortie, voire un choix de sorties, pour les deux voies. C’est pour cette raison que j’attendais pour en parler, sans plus.

  2. Le samedi Charles et moi avons eut la chance d’aller essayer cette ligne. Malgré le vent froid et la pluie du matin nous avons eut beaucoup de plaisir! La longueur 3 est surprenante. Le pitch commence avec du classique Gros Bras, traverse entre diedres, courte fissure verticale sur face pleine de texture, on s’attend à que le fun s’arrête là. Mais non, ça ne fait que commencer! La roche continue à offrir des défis de lecture et des beaux mouvements pour un solide 50 mètres de grimpe. On a trouvé que le petit crux au 2/3 mériterait un « + » au 5.8 ou même un 5.9, mais c’est juste un passage court dans une longueur marquante par sa qualité. Ce serait un pitch classique n’importe où au monde. Merci P-A de nous avoir débusqué ce bijou!

  3. Peut-être 5.8+ en effet. J’avais bin trop de plaisir pour porter attention à ça 😉 Content d’apprendre que la voie ait été répétée peu de temps après son ouverture et qu’elle vous a plu. Maintenant, qui fera la seconde ascension de Pilote de brousse ? Go go go !

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