Derrière la popularité croissante de l’escalade un peu partout dans le monde – et le Québec n’y échappe pas – se cache aussi un aspect qui est beaucoup moins évoqué: l’aspect économique. Pour chaque salle qui ouvre, un calcul a été fait: la rentabilité serait au rendez-vous. À l’heure où les gyms d’escalade poussent comme des champignons, qu’est-ce que cela signifie ? EscaladeQuébec a posé la question…
par David Savoie
Si vous avez suivi un peu l’évolution de l’escalade intérieure dans la province au cours des 18 derniers mois, vous avez peut-être été surpris(e) à quelques reprises d’entendre parler de l’ouverture de nouvelles salles dans plusieurs villes: Bromont, Granby, Joliette, Wakefield, pour ne nommer que ceux-là – sans compter les projets en gestation à l’heure actuelle. Et bien entendu, le fait que l’escalade figurera aux prochains Jeux olympiques à Tokyo pourrait se traduire par une nouvelle explosion de la popularité.
Que veut dire cette popularité croissante ? « Que le sport est en bonne santé », affirme Éric Lachance, directeur technique à la Fédération québécoise de la montagne et de l’escalade (FQME). « Mais c’est facile de voir un modèle qui roule bien en ce moment, et de penser qu’on va faire plein d’argent avec ça. »
Éric Lachance le dit d’entrée de jeu: personne ne peut savoir ce qui se passera demain, il a donc accepté de se prêter à de la prospective.
Une chose est certaine: avec la popularité grandissante du sport, les banques prêtent maintenant un peu plus facilement de l’argent pour démarrer des entreprises dans le domaine de l’escalade. « Mais la journée où un centre d’escalade ne paiera pas ses comptes, ça va faire l’inverse », pense-t’il.
Pour le moment, le marché n’est pas encore extrêmement compétitif à certains endroits, ce qui laisse la possibilité à des salles d’ouvrir. Ces conditions ne se maintiendront peut-être pas éternellement, fait valoir Éric Lachance. « Il y a un cycle dans tous les sports », explique-t-il.
La rentabilité influence aussi le genre de salles qui voient le jour. « Ce n’est pas pour rien qu’il n’y a pas de gyms de voies qui ouvrent. C’est parce que ça coûte pas mal plus cher! »
De même, dit-il, c’est plus simple d’avoir un gymnase de bloc rempli de clients qu’un gym de voies.
Pour lui, le prix actuel pour grimper sur des parois artificielles ne reflète pas bien les frais d’exploitation des centres – assurance, entretien, achat de prises, salaires d’employés. « Le marché a peur de charger ce que ça vaut! »
Selon lui, ce n’est pas normal qu’il en coûte aussi cher aller grimper dans un gym de voies que de bloc. « Personnellement, je trouve que 20 $ pour entrer dans une salle d’escalade, c’est pas cher. »
Il compare à d’autres sports, comme le Crossfit, par exemple: c’est le même prix, 20 $, pour des barres de métal et des poids.
Autre fait intéressant: à son avis, la pénurie de main d’oeuvre au Québec affecte aussi le domaine de l’escalade. « Dans les gyms, dans les écoles d’escalade, beaucoup de gens ont de la difficulté à recruter de la main d’oeuvre. C’est partout comme ça, mais en escalade, c’est critique. Si tu n’as pas un moniteur breveté, formé ou peu importe, si tu as un groupe qui arrive, tu es obligé d’annuler ce groupe, tu viens de ‘scrapper’ une partie de tes revenus. » Est-ce que les salles d’escalade connaîtront ce sort ? Difficile à dire, affirme Éric Lachance.
L’économiste
Moshe Lander est professeur au département d’économie de l’Université Concordia. Il s’est intéressé à la question du sport, et il commente régulièrement dans les médias sur les questions économiques qui touchent plusieurs sports professionnels. Il avoue ne pas connaître les fins détails du monde de l’escalade, mais il n’a pas hésité à se prêter à l’exercice.
Sport peu coûteux, qui s’inscrit dans la mode de la mise en forme, « il y a beaucoup d’espace pour la croissance », estime l’économiste. « C’est une façon de rester en forme qui est plus intéressante que d’aller à un cours ennuyant dans un gym (traditionnel), ou pédaler sans répit pendant 60 minutes sur un vélo stationnaire. »
Ce sport n’est pas fait pour tout le monde, avance-t-il, donc nécessairement il y aura un plateau éventuellement. Et, en économiste, il estime aussi les conditions du marché vont se resserrer. Tout comme les gymnases traditionnels, les salles d’escalade pourraient se trouver une niche en fonction de ce que les clients sont prêts à payer. « Pour ceux qui veulent juste un mur, vous allez prendre votre douche à la maison après, vous n’avez pas besoin de supervision, voilà la salle complètement dépouillée. Pour ceux qui veulent quelque chose à faire un vendredi soir, ou vous venez vous divertir avec des amis, voilà, il y aura ces ajouts (café, sauna, etc.) disponibles. Le marché pourrait se diviser ainsi entre le bas de gamme et le haut de gamme », explique Moshe Lander.
Mais contrairement à d’autres activités, l’escalade peut se renouveler. « Je ne suis pas un crossfitter, mais je vais dans des cours de gyms. Au bout de trois ou quatre ans, on sait déjà quels seront les exercices, la musique change, mais on fait les mouvements de façon mécanique. En escalade, il y a toujours la possibilité de changer les parcours, et changer la courbe d’apprentissage. Donc ça offre toujours un nouveau défi. »
Parmi les nouveaux clients, plusieurs cherchent une expérience différente, et le défi des salles sera de retenir ces gens. « Dans la plupart des sports, le taux de rétention est de 5 à 10 % parmi ceux qui l’essaient une première fois », dit Moshe Lander. Il pense également que les jeunes d’aujourd’hui resteront des clients au cours des prochaines années.
À son avis, l’escalade demeure un sport marginal, mais l’image de la discipline a changé, ce qui permet d’attirer davantage de gens: le fait de voir des grimpeurs dans des médias grand public ou encore des vidéos de grimpeurs amateurs partagés sur les réseaux sociaux, par exemple, encouragent davantage de gens à se dire qu’eux aussi, ils seraient capables de grimper.
Les Jeux olympiques feront de l’escalade un sport encore plus grand public, mais toujours rien en comparaison au hockey, au football, au basketball par exemple.
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