Encore une histoire sans fin – partie 3

Photos: JP Bélanger et Mathieu Péloquin

Par Stéphane Lapierre

Par ici pour la partie 2

« Et le désir à petite échelle, c’est ce qui pousse des explorateurs dans l’inconnu, où, la première chose qu’ils font, c’est dessiner une carte. »
(Kate Harris dans Sur les terres des frontières perdues)

Photo: Mathieu Péloquin

En janvier 2020, Mathieu Péloquin décide de retourner gravir la voie qu’il a ouverte près de 20 ans plus tôt. Il veut en profiter pour la rééquiper et la rendre plus sécuritaire. C’est en compagnie de Frédéric Branch qu’il s’engage dans l’aventure. Grosse Job! Gros contrat! Mais ce rééquipement va en motiver plusieurs à suivre leurs traces. Cinq ascensions vont suivre dans la même saison. Merci Fred et Mat. Ici, Fred dans l’approche avec la Pomme pis la Ruée drette au-dessus de lui.

Photo Jean-Philippe Bélanger

Si la colonne de départ de la Ruée vers l’or se formait pour la première fois de mémoire de grimpeur en 2017, elle s’est à nouveau formée en 2020 puis en 2021. Certains proposent que des castors soient à l’origine de ce changement d’écoulement du lac au sommet du mont de l’Équerre. Mais personne n’est encore allé vérifier.

On peut ici admirer une vue d’ensemble du chemin de gel idéal. Avec juste assez de glace pour bien définir une ligne naturelle incroyable. Pis comme la voie est maintenant une classique avec plus de dix ascensions répertoriées, en voici une petite description longueur par longueur, dans toutes les conditions. Histoire de vous donner le goût. Mais si vous êtes du type «explorateur qui rêve à l’inconnu», ne lisez pas ce qui suit.

Photo: Patrice Beaudet

La première longueur de la Ruée est commune avec la Pomme d’or. Gravir cette longueur permet déjà d’avoir un avant-goût de l’ambiance du mur. Ici, Yannick Girard commence la voie bien trop tard après sa ride de vélo en 2005. On peut voir les stalactites du sommet de la Ruée, 300 mètres plus haut.

Photos: LP Ménard et Pierre Raymond

Au-dessus de la première longueur, c’est à gauche pour la Pomme et à droite pour la Ruée en suivant un long couloir de glace et de neige Le couloir permet d’accéder à la colonne de départ de la section raide de la Ruée. Et de se sentir tout petit. On découvre la voie en tant que telle ! Quelle ligne magnifique. À gauche, Guy Tremblay en 2005. À droite, Jean-Philippe Bélanger au cours d’une tentative en janvier 2020. Pouvez-vous trouver les différences entre les deux photos ?

Photos: Stéphane Lapierre et Mathieu Péloquin

Dans la Ruée, le vrai fun commence avec cette longueur. En 2017, 2020 et 2021, elle s’est formée entièrement en glace. Mais ne vous fiez pas aux apparences. La glace y est beaucoup plus fragile qu’il n’y paraît. Sur la photo de gauche, Éric Tremblay profite de conditions idéales par -5°C le 21 février 2020. La veille, il avait fait -35°C, la plus froide journée de l’hiver. La photo de droite a été prise exactement 24 heures plus tard, le 22 février. Quelques minutes après la prise de la photo, Jean-Nicolas Grieco, Mathieu Péloquin et Sébastien Morin ont dû redescendre. Le soleil combiné à une température de +5°C délogeait des glaçons du sommet et les transformait en dangereux missiles.

Photo: Yannick Girard

Mais la majorité des années, cette première longueur est toute autre. On peut y voir ici François Bédard. Je le laisse raconter sa longueur. « Un M6+ assez intimidant avec son départ plutôt facile, suivi d’une traverse délicate assez engagée et nous voilà partis dans la mythique Ruée vers l’or. La suite me donne des frissons. Après le rétablissement suivant la traverse: de la belle glace m’emmène dans un dévers très soutenu parsemé de roches instables variant de quelques millièmes à quelques pieds. La grimpe est technique en raison de l’instabilité des roches et la présence de petites bolts rouillées qui ne m’inspirent pas vraiment confiance. Merci aux ouvreurs, elles faisaient quand même chaud au cœur à clipper. La sortie dans un dièdre avec un beau glaçon à gauche m’a tout pris. La glace très mince et un grand écart pour atteindre le glaçon m’ont permis de me sortir de là indemne. Quelques mètres de bonne vieille glace cassante et me voilà assis dans mon relais, Oufff! » La bonne nouvelle, c’est qu’il y a maintenant de nouvelles bolts depuis février 2020 ! Alors pas besoin d’attendre que la longueur se fasse toute en glace pour y aller. Ma première tentative dans cette voie, en 1992, s’était arrêtée dans la grotte que l’on devine sur la droite de la photo. On peut encore y voir mes deux bolts.

Photo: David Rone

Lorsqu’elle est toute en glace, le vrai passage clé de cette longueur est la colonne sèche et difficile à protéger, à la sortie. Il est toutefois possible de passer derrière la colonne et de clipper les nouvelles bolts de Mathieu et Fred comme l’ont fait Jean-Philippe Bélanger et Fred Maltais. On peut voir ici Scott Backes dans le crux en janvier 2020. Scott est celui qui a ouvert, entre autres, le premier M8 du Québec, au cours d’une visite à Pont-Rouge en 1998. Sur Mountain Project, Dave Rone a écrit à propos de la Ruée, «This is as good a mixed route as you’ll find anywhere, do it!»

Photo: Louis Rousseau/Jasmin Fauteux

Suit le dièdre de glace. Il fait rarement plus d’un mètre de largeur dans le bas, mais il semble se former tous les hivers. Ici, c’est le popotin de Jean-Phillippe Bélanger qu’on peut voir juste au-dessus du relais, au départ de cette longueur magnifique.

Photo Mathieu Péloquin

Frédéric Branch dans le haut de la même longueur, là où la glace devient abondante certaines bonnes années. Pis au-dessus? Le vrai gros fun commence. La hauteur et le vide commencent à peser. La fatigue embarque un peu. On se sent loin de sa mère pis on peut pas l’appeler parce qu’y a pas de réseau. On se rappelle qu’on a oublié de plier sa dernière brassée de linge pis ça devient soudainement urgent d’y remédier. On se commet ? On redescend ? La plupart des humains normaux se posent alors ces questions. Plusieurs redescendent. Quelques-uns continuent.

Photo: Yannick Girard

Les années normales, c’est de ça qu’a l’air la prochaine longueur. Une délicate tour de glace s’élève en ligne droite vers un dièdre protégé par quelques bolts. Puis un petit surplomb de glace mène à un dièdre plus facile, mais un peu compliqué à protéger. Yannick Girard et Damien Côté se préparent avec attention pour la suite.

Photo: LP Ménard

Les années plus riches en glace, la longueur est pareille. Mais la glace un peu plus épaisse et solide. Guy Tremblay entame la longueur qui est, selon LP Ménard, la longueur clé qui donne l’âme de la voie. «Très longue, très continue et très variée en passant par un ressaut rocheux.»

Photo: Stas Beskin

Daniel Martian nous raconte un petit peu sa Ruée : «La Ruée vers l’or is very special to me, one of the best multi pitch mix climbs out there. I tried to do the route for years, doing the long approach 4-5 times in the previous years, but always the conditions of the route were too poor. Finally I climbed the route in 2017 with Stas Beskin with the long 33km walk in and out 🙂 I climbed the route again in 2020 with the « cheating » new approach 🙂 with my friend Matt Zawitz. The conditions of the route were a bit easier in 2020.

I attached here a picture from 2017. It was a memorable moment on this pitch when my helmet got stuck between the icicle and rock 🙂 This pitch was very different in 2017 when it had an icicle. In 2020 instead of the icicle there was a small ice roof.

In 2020 we did la Pomme and after that la Ruée (dans la même journée!). Yes we did free Nathalie’s and Fred’s rope in the dark already 🙂 Their ropes were blocked on the rappel from the top of the traverse to the last pitch. We did not technically finish the climb as we rappeled before the top of last pitch.»

Photo: Nathalie Fortin

Mars 2020, Frédéric Maltais entame le dièdre de rocher, avant de rejoindre le surplomb de glace, bien pompant. Plus haut, on devine le dièdre de rocher en diagonale vers la gauche. Tout bloc de roche qui tombe de ce dièdre arrive directement au relais.

Si vous vous retrouvez dans la même position un jour, rappelez-vous de Daniel Martian qui l’a grimpé après avoir fait la Pomme et de Dave Rone qui l’a leadé à l’âge vénérable de 65 ans. «We had an awesome day on la Ruée. The climbing was interesting and challenging all the way. The only pitch that wasn’t all ice was the 5th, which was my lead. Pulling the ice overhang was strenuous and pumpy, but there was great ice above the roof and protection was good in case of a fall, so might as well go for it! The dry tooling above the crux overhang was good too, although I thought a little insecure at times.»

Photo: Maxime Turgeon/Guy Tremblay

LP Ménard en 2005, heureux à la sortie du dièdre de cette longueur magnifique! À noter, les Quark Ergo. La révolution du sans dragonne avait fait son œuvre, même pour une voie de cette envergure. Les leashs n’existaient pas encore par contre. Alors, à la fin de la dernière longueur, LP a échappé ses deux piolets. Incroyablement, il les a retrouvés quelques heures plus tard, dans la neige, au pied de la voie.

Photo: Louis Rousseau

Le 10 février 2020, Jasmin Fauteux entame la dernière longueur de la Ruée. Celle-ci débute par une très aérienne traversée, au-dessus d’un mur surplombant, avec près de 300 mètres de vide sous les fesses. « J’ai atterri à Québec le Soleil était déjà couché. Et quand j’ai vu les premières lueurs du soleil québécois, c’était sur la Ruée. On a terminé la voie et ça faisait moins de 24 h que j’avais atterri dans la belle province. »

Photo: Frédéric Branch

Mais en janvier, quand les nuits sont longues (et surtout parce qu’il a en plus pris la peine de remplacer plusieurs bolts en montant), il est plus difficile de terminer la voie de clarté. Mathieu Péloquin entame la même dernière longueur, à la frontale. Cœurs sensibles s’abstenir.

Photo: LP Ménard

Les années normales, la chandelle finale ne connecte pas et il faut gravir de délicats passages mixtes avant de rejoindre la glace, très fragile, de la sortie de la Ruée. On peut voir ici Maxime Turgeon en 2005, environ au même endroit que Nathalie sur la photo suivante, qui s’élance dans ce pitch final. Max est le dernier à avoir franchi ce passage en tête dans ces conditions. Toutes les ascensions subséquentes se sont faites au cours d’années plus riches en glace. Mais avis aux intéressés, Mat et Fred y ont remplacé toutes les vieilles bolts en 2020, pendant leur descente en rappel.

Photo: Frédéric Maltais

Nathalie Fortin dans la dernière longueur de la Ruée vers l’or en mars 2020. Encore quelques mètres de glace verticale et elle aura complété la première ascension féminine de la voie! Pis une fois au sommet, il reste juste à savourer le moment. Pis à redescendre en faisant attention à ne pas coincer de rappel.

Photo: Benoit Lemieux

L’une de mes chansons préférées raconte : «Tu ne pourras mesurer ton désir que par le temps qui passe». Pouvez-vous voir le petit point au bout de la flèche sur le pilier final de la Ruée vers l’or ? Pouvez-vous voir son grand sourire ? Trente-trois ans après y avoir rêvé une première fois, il me reste encore quelques mètres à gravir et je rejoins Éric Tremblay au sommet. Je lui laisse le mot de la fin.

«Puis les questions s’estompent et le plaisir de grimper nous submerge. On flotte d’un relais à l’autre, comme poussés par une brise ascendante, jusqu’à la dernière longueur où la fatigue nous rattrape finalement. Quelle surprise, quelle satisfaction. Nous avons déjà dépassé nos attentes! Durant cette pause prise à contempler le paysage, les mots justes sont trouvés, on puise dans nos réserves et on trouve ce qu’il faut pour se lancer dans la dernière longueur. La Ruée s’est montrée généreuse! Elle nous a laissés fouler son sommet après des années à en rêver. Surtout, elle nous a permis de découvrir ou redécouvrir les merveilles qui nous entourent et celles qui se cachent, à notre insu, en nous.»

Partie 4

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