Par Jean-Philippe Bélanger
Secteur rivière Caopacho
51°19’21.2″N 66°17’36.6″W
Nous sommes à l’hiver 2018-2019 et notre saison de grimpe hivernale tire à sa fin. Une fois de plus, pour Charles et moi, la région de la Côte-Nord nous a offert des belles cascades à grimper, mais les projets commencent à manquer. Toutefois, à la fin de février, un message viendra tout changer. Michel Séguin, un ami à nous et pilote d’hélicoptère, nous transmets des images de plusieurs cascades de grand intérêt bordant la rivière Moisie quelque part au nord de Sept-Îles. Ça y est…ça recommence! Moi qui pensais pouvoir prendre congé de la Côte-Nord!

En 2018-2019
La rivière Moisie (Mishta-shipu en Innu qui signifie « la grande rivière ») prend sa source au Labrador et coule vers le sud sur 410 km à travers un territoire sauvage avant de rejoindre le fleuve Saint-Laurent un peu à l’est de Sept-Îles. Un de ses affluents majeurs est la rivière Nipissis qui est bien connue de la communauté des grimpeurs. Cette dernière est bordée d’un chemin de fer, ce qui en facilite l’accès. Patrice Beaudet fut le pionnier de ce secteur maintenant devenu une destination incontournable pour les glaciéristes québécois.
Les hivers se succèdent et notre rêve de découvrir ces nouvelles cascades est constamment repoussé. Les aléas de la vie familiale, la situation sanitaire et l’absence de confirmation des conditions nous forcent à repousser notre projet et ce, jusqu’à tout récemment. Finalement, grâce à la précieuse collaboration de Michel et d’Héli-Boréal, nous recevons des nouvelles photos à la fin du mois de janvier 2022. Et comble d’excitation, les cascades semblent concentrées dans un secteur en particulier. N’en fallait pas plus pour convaincre Yan Mongrain, un ami et grimpeur d’expérience, de nous accompagner Charles Roberge et moi dans cette folie.
Le secteur en question, derniers remparts avant la toundra du Labrador, se situe à 120 km au nord de Sept-Îles près de l’embouchure d’un affluent, la tumultueuse rivière Caopacho. L’hélicoptère est le seul moyen pour accéder au site. C’est donc comme des enfants dans un magasin de bonbons que nous parcourons le trajet de 45 minutes par la voie des airs en étant éblouis par la beauté du paysage qui défile sous nous. Bientôt, la vallée profonde de cette rivière magnifique se dessine et nous la suivons vers le nord. Même avant d’atteindre notre secteur, on prend la mesure du potentiel incroyable de cette vallée.
L’appareil se pose finalement sur un plateau dénudé d’arbre. En effet, un feu de forêt majeur a fait rage il y a quelques années. Nous choisissons notre site de campement qui sera directement en bordure de la rivière. L’emplacement est central par rapport à nos projets. Les cascades, du nombre de 10 selon nos observations, sont tous réparties dans un rayon de 2 km seulement. Et devant nous, frappée par la lumière du matin, se dresse la voie qui défie l’imaginaire par sa structure complexe et sa beauté. Jusqu’au jour où nous avons eu l’audace d’y planter un piolet, mon esprit oscillera entre l’excitation et l’intimidation. Une fois bien installés dans la tente prospecteur chauffée au bois, Yan peut laisser aller ses incroyables talents de cuisinier. Il faut prendre des forces.
Le jour se lève enfin sur notre première journée d’escalade. Nous partons le cœur léger vers notre objectif : une cascade située à environ 500 mètres au sud du campement. La voie de trois longueurs est non sans rappeler le fameux Pilier Simon-Proulx situé sur le réservoir Sainte-Marguerite.
Nous trouvons des conditions difficiles, une glace très dure et cassante s’offre à nous. Durant l’ascension de la dernière longueur, nous remarquons la présence de 4 loups sur la rivière, curieux de notre présence et des coups de piolet qui résonnent dans la vallée. La présence de ces visiteurs n’a rien de rassurant considérant l’isolement. Finalement, cette voie qui devait nous donner confiance nous a plutôt fait douter. Cette journée d’escalade nous a tout de même permis d’ouvrir Patte blanche (180m, WI5) qui est une parfaite introduction au site de la Haute-Moisie. De retour au camp, il est devenu évident que notre équipe n’était pas prête pour grimper la ligne de rêve qui nous nargue devant notre tente , surtout par des températures aussi froides.
Après un bon repas, une seconde nuit sous la barre des -30 degrés Celsius se pointe. Tout était calme jusqu’au moment où des hurlements de loups viennent nous réveiller en sursaut! Ils sont trois ou quatre et nous offrent un concert à glacer le sang pendant plus de deux heures tout près de notre tente. Peut-être sont-ils attirés par la graisse de bacon que nous avons déversée sur le côté de la tente la veille? Soudainement, Yan qui dormait seul dans une tente un peu à l’écart surgit dans notre tente avec son sac de couchage sous un bras et ma hache dans l’autre! Il a l’air terrifié. Et dire que pendant ce temps, Charles dormait paisiblement ayant retiré son appareil auditif. Le lendemain, nous remarquons des traces de pattes sur la glace de la rivière à moins de 20 mètres. Le nom de la voie n’a donc rien d’arbitraire!
Après une nuit misérable, et devant le froid qui sévit toujours, nous décidons de repousser notre tentative dans le monstre qui surplombe notre camp. Nous partons donc en direction d’une autre voie située du côté opposée de la rivière. Les premières longueurs nous semblent incertaines de la rivière mais nous décidons quand même d’aller voir de plus près. L’approche en raquette à travers une forêt dense est pénible et représente un dénivelé significatif. Malheureusement, les premières longueurs ne sont pas assez fournies. Mais tout de même quelle ligne esthétique!
De retour sur la rivière et malgré une matinée déjà bien avancée, nous fonçons vers le nord pour tenter de rejoindre un autre secteur. Bientôt nous sommes équipés devant une voie raide et soutenue dont la première longueur aboutie dans une grotte évidente. La Tanière (170m, WI5) offre une escalade magnifique et soutenue. De retour au camp, nous sommes fatigués et notre jour de repos de demain tombe bien.
Les deux premières voies et les approches ont laissé des traces sur nos corps. En particulier pour Yan qui a subi une blessure au pied quelques années plus tôt. Physiquement, je me repose, mais mentalement, mon esprit est fixé sur l’objectif du voyage que nous envisageons visiter demain. Pour apaiser nos esprits, Charles et moi retournons pour une 2e fois au pied de cette ligne de rêve pendant que Yan ménage son pied.
Le matin du 4e jour, la Marmotte, la Chèvre et le Blaireau remontent le pierrier directement sous la voie pour la 3e fois déjà. On l’a assez vu de loin et analysé, il est maintenant temps de passer à l’action. Nous sommes prêts à grimper et il est 7h45, Yan me dit ces paroles sages: « Tout est là man… les conditions sont parfaites« . La température s’est réchauffée graduellement depuis 36 heures et c’est nuageux. Nous sommes reposés et prêts pour la guerre! L’ambiance au pied de ce monstre est indescriptible.
J’assure Charles pour le premier pitch. Les premiers mètres sont pénibles et insécurisants. La Chèvre m’avouera plus tard qu’il a failli renoncer dès le départ mais, comme à son habitude, il trouve un moyen de progresser régulièrement malgré un terrain difficile. Au premier relais, je me sens intimidé. Je sais que ce qui s’en vient est pour moi. Je veux seulement partir en tête et m’enfermer dans ma bulle. Après quelques mètres faciles, je me faufile à travers un trou de glace et je découvre à quoi j’ai affaire. Yan est curieux et me demande de quoi ça l’air??? Ma réponse : Y a pas de mot pour décrire ça… Une succession de passages improbables sur des blobs de glace plastrés sur la roche. L’escalade demande habileté, endurance et créativité dans un environnement en trois dimensions. Je termine ma longueur sous un énorme toit de glace formé par un pilier cassé. La suite est incertaine et nous a causé bien des maux de tête en analysant la voie de la rivière durant les jours précédents. Finalement, contre toute attente, Charles trouve un tunnel à travers les stalactites du toit qui lui permet d’accéder à la grotte de glace derrière la base de la dernière longueur. Yan entreprend la dernière longueur et creuse à son tour un troisième trou qui lui permet de passer directement de la grotte au rideau vertical de la fin de la cascade. Nous atteignons le sommet vers 17h15 et après de brèves célébrations, les rappels à la frontale drainent le restant de mon énergie. Maïkan (150 m, WI6+) vient de se concrétiser.
Je tiens à remercier sincèrement Charles et Yan pour ce voyage exceptionnel. Je souhaite avoir pu transmettre humblement la passion qui nous animait particulièrement pendant la première ascension de Maïkan. J’espère que ça vous donnera le goût d’aller dans ce coin de paradis qu’est la Haute-Moisie. Outre les 3 voies que nous avons ouvertes et qu’elles valent le détour, il reste énormément de premières ascensions d’envergure à réaliser dans cette région. De plus, un merci tout spécial à Michel Séguin et toute l’équipe de Héli-Boréal qui ont été le commencement de toute cette aventure.
Voir la mise-à-jour du secteur de la Cote-Nord Est pour tous les détails.
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