Et de deux! La Pomme et La Loutre en 9h

Par Benoît Dubois

Un projet de longue date s’éveille en moi cet hiver. L’ascension de La Loutre et la Pomme D’Or en une journée. Le défi se résume à grimper les 2 voies en moins de 24h, idéalement sans grimper à la frontale. Le dimanche soir à la soirée des bénévoles et athlètes du Festiglace de Pont-Rouge, je vois l’intérêt de Mathieu Meynadier et Francesco Favilli à faire ce même projet! Je leur donne toute l’information que j’ai pour qu’ils réalisent ce fameux défi. Ils recueillent des infos d’autres grimpeurs et quelques jours plus tard, gravissent le duo en 10h! Vraiment content pour eux, mon désir de relever ce défi s’accroît d’une coche pour qu’à mon tour je puisse vivre cette journée d’endurance mémorable. J’aime bien les multi-longueurs mais je n’aime pas être arrêté aux relais. C’est là qu’on perd le fil, qu’on perd du temps et de l’énergie dans une position immobile, qu’on gèle et qu’on réussit un peu trop souvent à s’emmêler dans le matériel malgré toutes les précautions.

Dans ma quête de partenaires, ce qui est un projet en soi, je contacte Dzao Plamondon qui sort fraîchement d’une resplendissante victoire à la compétition Enduro du Festiglace. Le projet l’intéresse immédiatement et on planifie le vendredi 3 mars pour éviter la fin de semaine. On garde tout de même un doute sur l’achalandage des 2 voies puisque non seulement c’est la fin de saison et que les grimpeurs sont bien entraînés mais aussi les températures sont plus clémentes, les trous dans les voies et la marche d’approche bien tapée rendent l’ascension plus facile et par surcroît c’est l’entre-deux de la relâche de Montréal et Québec.

L’approche se passe bien mais on aurait pu se passer de raquettes. On laisse du matériel à la base de La Pomme d’Or comme un ravito entre les deux voies. Le temps débute au moment où on débute La Loutre et se termine à la fin de La Pomme une fois le second arrivé. Le désir de seulement grimper les 2 voies dans la journée était le motif principal mais tant qu’à y être, aussi bien calculer notre temps pour satisfaire notre curiosité!

Départ à 7h55, Dzao s’élance dans le vrai départ loin à gauche, lui qui avait grimpé La Loutre deux jours auparavant de façon plus directe, difficile et engagée, dans peut-être même ce qui se serait avéré une ouverture en M7 R. En cordée standard, ça lui avait prit la journée! J’avais d’ailleurs pris un itinéraire similaire en 2011 avec Damien Côté mais la glace couvrait le passage clé de roche que Dzao a dû grimper, rendant le tout immensément plus facile. Un doute sur la trajectoire s’était éveillé en nous la veille du départ Yan Mongrain a tôt fait de m’aiguiller sur la bonne ligne de faiblesse. Une longue diagonale aisée jusqu’à un dièdre encaissé avec un court passage en M5 nous amène à la glace. Je ne serai pas à proximité de Dzao pour l’entièreté de la voie. On se garde 40m de corde entre les 2 et le premier de cordée récupère le matériel ramassé par le second via une « tag line », incluant les micro traxions si utiles pour protéger le leader d’une chute du second, ce qui ne s’est heureusement pas produit. Dzao est très prudent pour ne pas faire tomber de glace sur moi et on file sur un rythme normal mais sans répit. À 10h55, soit 3h plus tard, nous sommes au sommet de La Loutre, tout sourires, améliorant notre temps anticipé qui était de 4h30.

On traverse dans le bois dans le but de rappeler dans La Pomme mais on aboutit beaucoup trop loin dans La Ruée. On perd un bon 30 minutes à rebrousser chemin dans la grosse neige et à se faufiler entre les épinettes serrées dans une épopée « Ninja St-Michel » où le matériel accroche partout! On rappelle La Pomme en 1h en simultané chacun sur notre brin, nous gardant une grosse gène pour ne pas faire tomber de gros rideaux minces et précaires, croisant au passage Yann Camus qui était lui aussi dans un projet d’une ampleur similaire en grimpant La Pomme en solo-encordé! Oui oui, il a littéralement grimpé 2x La Pomme cette journée-là pour récupérer son matériel. Cet exploit n’avait été fait qu’une fois auparavant, soit par Jean-François Beaulieu il y a quelques années. On se pose la question à savoir si on poursuit la grimpe en-dessous de Yann ou si on s’arrête mais étant donné que la voie a été tant grimpée dernièrement et que les trous sont omniprésents, réduisant presque complètement les chutes de glace potentielles, on décide de poursuivre l’aventure.

Le ravito est réconfortant. Bien mangé et bien bu, je repars avec des gants secs et une bonne dose de motivation. La longueur à la base de la rampe est couverte de glace cette année, une première pour moi puisqu’en d’autres circonstances c’est du M3-4 assez technique et plutôt laborieux. La glace accélère l’ascension mais avec entre-autres un run-out de 25m, je progresse tranquillement avec précision et délicatesse. Je rejoins la rampe qui elle aussi est assez mince et ne permet que des vis 10cm à des endroits très isolés. Yann se trouve maintenant au-dessus de moi dans la chandelle qui marque la partie la plus verticale de la voie. Je tente de faire mon chemin dans une plus petite chandelle à gauche pour être à l’abris mais elle s’avère être pleine d’air et ne semble pas avoir été grimpée cette année. Pour sauver temps et énergie, j’emprunte sensiblement le même chemin que Yann, me faufilant à-côté de sa corde, dans une chandelle pleine de trous où les « hooks » rentrent jusqu’au manche des piolets! Autant on aurait aimé ne voir personne cette journée-là, autant croiser quelqu’un dans un endroit si reculé est réconfortant! Heureusement, personne n’a reçu de glaçon par la tête.

On rejoint le sommet en 4h, à 16h55, ce qui fait un total de 9h! Youhou! On pensait vraiment que La Loutre prendrait plus de temps mais ce fut l’inverse! Dzao et moi sommes fiers de notre exploit des deux voies dans la journée, encore plus que d’un record qui de toute façon sera battu un jour ou l’autre. On l’a fait de la façon la plus sécuritaire que je peux tolérer, c’est-à-dire de toujours protéger le leader d’une chute du second avec des micro-traxions (poulie avec stoppeur qui glisse vers le haut et bloque vers le bas). Les vis et protections étaient espacées pas mal de la même manière qu’en cordée standard. C’est le fait de grimper en cordée volante sans relais qui explique le fait qu’on est allé au moins 2x plus vite qu’en cordée normale. Il y a peut-être aussi mes 27 ans d’expérience en escalade ainsi que « l’acclimatation mentale » d’être allé 7x jouer dans ces voies. Dzao avait également fait les 2 voies cet hiver. Il a une bonne tête et on peut aussi dire qu’il est dans une forme irréprochable, lui qui n’était même pas « racké » le lendemain!

Aujourd’hui (le lendemain), je suis serein et me repose de cette journée de 15h « car-to-car ». Je dois encore lever mon chapeau à Serge Angelucci et Maxime Turgeon qui ont tous 2 grimpé La Pomme d’Or en solo intégral en plus de skier la légendaire approche de 28,5 km aller et 28,5 km retour qui était jadis la norme. Maintenant que la route est déneigée l’hiver jusqu’au barrage, on parle de 4.6 km de marche / ski / raquette sur le plat suivi d’une approche ascendante de 150m de dénivelé d’environ 1h-1h30 dans des conditions normales (ça m’a déjà pris 2h30 avec la neige à la taille…). La Pomme d’Or est un « test-piece » dans la carrière de bien des grimpeurs de par sa hauteur, sa verticalité et son engagement. Encore bien des exploits sont à prévoir dans cette voie et ses voisines.

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