Expédition sur la montagne de l’esprit

Par Caroline Jetté

Le premier octobre 2014, j’ai atteint le sommet du Manaslu (8163 m), situé dans le massif du Gurkha au Népal, devenant ainsi la première femme québécoise à fouler ce sommet. Cette expédition, réalisée en compagnie de mon compagnon de vie, et de cordée, fut une expérience intense et extrêmement enrichissante. Ce récit relate les moments clefs, les instants de bonheurs, ainsi que les difficultés et les questionnements qui m’ont habité tout au long de cette expédition.

Manaslu

Le projet démarre officiellement au début de l’année 2014. C’est très excitant, mais également assez angoissant. Serais-je à la hauteur de cette montagne ? Le projet est-il trop ambitieux ? Ma préparation sera-t-elle suffisante ? Mais pour faire taire les angoisses rien de mieux que d’avoir l’esprit occupé. Heureusement, l’organisation d’une expédition sur son premier 8000 mètres laisse peu de temps libre, il faut planifier la logistique avec l’agence locale, acheter l’équipement manquant, le tester et surtout intensifier l’entraînement.

C’EST UN DÉPART
Nous arrivons à Katmandou au début du mois de septembre, heureux, fébriles et quelques peu exténués par les dernières semaines de préparation. L’aventure commence enfin ! Après quelques formalités d’usage, nous rencontrons les membres de l’équipe(1) avec qui nous passerons les prochaines semaines. Puis, nous amorçons un trekking de sept jours jusqu’à Samaguan où nous passerons quelques jours afin de nous acclimater et préparer notre migration vers le camp base.

Le 15 septembre, nous nous dirigeons vers le camp de base (4770m), notre « demeure » pour les prochaines semaines. Deux jours après notre arrivée, nous assistons à la Puja, une cérémonie bouddhiste destinée à nous protéger des dangers de la montagne. Elle se déroule sous le signe de la joie et permet de souder les liens avec toute l’équipe. C’est une étape charnière, car elle coïncide avec le début de notre acclimatation et de nos visites au-dessus du camp de base.

Entre le Camp de Base et le Camp 1

Entre le Camp de Base et le Camp 1

ACCLIMATATION
Le lendemain, nous quittons le confort du camp de base afin de faire une première montée au camp 1 (5500m). Habitués aux ascensions en style alpin, c’est la première fois que Sylvain et moi utilisons des cordes fixes. Nous sommes rapidement confrontés au fait que nous avons très peu de contrôle sur l’équipement en place. Nous devons donc revoir nos standards et tenter de faire confiance aux cordes en plastique et aux ancrages parfois douteux. Cette révision momentanée de nos standards de sécurité se déroule au milieu de plusieurs crevasses dont certaines sont assez impressionnantes. Nous continuons malgré tout notre progression vers le camp 1. Une fois rendus, nous y restons environ une heure avant de redescendre au camp de base.

Camp 1

Camp 1

Après trois journées de repos, nous retournons en montagne pour quelques jours dans le but de dormir aux camps 1 et 2. Il faut donc repasser les mêmes crevasses entre le camp de base et le camp 1, puis affronter les échelles et grimper certaines sections assez abruptes. Le passage de certaines sections représente pour moi un défi de taille et je dépense beaucoup d’énergie utilement à me questionner sur la façon dont je les repasserai au retour. Nous arrivons au camp 2 (6400m) en début d’après-midi. Il fait chaud et tous les membres de l’équipe profitent du soleil et de sa chaleur. Toutefois, dès que celui-ci commence à disparaître, nous nous empressons d’aller nous emmitoufler dans la chaleur de nos sacs de couchage pour passer une première nuit à 6400 mètres d’altitude. La nuit se déroule bien ce qui est un signe encourageant pour notre acclimatation. Le lendemain, nous regagnons le camp de base après avoir monté quelques centaines de mètres au-dessus du camp 2. Notre acclimatation est terminée, la prochaine fois que l’on retournera en montagne se sera pour tenter le sommet.

En direction du Camp 2

En direction du Camp 2

VERS LE SOMMET – DANS LE DOUTE
Une fenêtre météo propice pour tenter le sommet se dessine pour le 30 septembre ou le 1er octobre. Nous nous préparons donc en conséquence et quittons le camp de base le 27 septembre. Malgré une acclimatation réussie et quelques jours de repos, j’avance extrêmement lentement et je peine à mettre un pied devant l’autre. Je dois rapidement me rendre à l’évidence, je suis incapable de suivre la cadence. Je dois retourner au camp de base et dire adieu à mes chances de monter le Manaslu. Je souhaite bonne chance à Sylvain et à Mingma, le sirdar de l’expédition qui nous accompagne. Je retourne au camp de base en pleurant, je ne peux pas croire que l’aventure se termine ainsi pour moi !

De retour au camp de base, je me roule en boule dans ma tente et je déprime. Plus le temps avance et plus j’ai de la difficulté à respirer. J’ai l’impression que mon état se détériore et je me sens seule au monde. Je décide alors d’aller au camp voisin pour demander l’avis d’un médecin qui accompagne une équipe commerciale. Même s’il trouve que j’ai l’air en piteux état, mon taux d’oxygène, ma pression artérielle et mes poumons semblent être en parfaite condition. Pourquoi ai-je eu tant de difficulté à avancer alors ? La peur invalidante de repasser encore une fois sur certaines sections du glacier ? L’orgueil de fermer la marche et de pas avancer aussi vite que les autres ? Ou tout simplement une bonne étoile qui veillait sur moi pour faire en sorte que je ne sois pas sur la montagne cette journée-là ? Je m’endors avec toutes ces questions qui tourbillonnent dans ma tête.

À 3h du matin, je me réveille et je me sens miraculeusement très bien. L’option d’attendre l’équipe pendant cinq jours au camp de base, sans tenter à nouveau le sommet, devient alors une idée insupportable. Des scénarios pour rejoindre le groupe tournent en boucle dans ma tête. Je me lève donc déterminée à retourner en montagne et je tente de rejoindre Mingma par radio. Après deux heures d’essai, je réussie enfin à lui parler. Au début, il n’est pas d’accord avec l’idée que je tente un retour en montagne, mais je fini par le convaincre en lui disant que je suis déterminée à monter coûte que coûte. Nous convenons ensemble que je devrai doubler une étape afin de rejoindre le reste de l’équipe. J’allège donc mon sac à dos et je pars rejoindre Mingma au camp 1. J’y arrive assez rapidement et je me sens en excellente forme. Tant mieux, car le lendemain je devrai grimper jusqu’au camp 3 (6800m).

Nous quittons le camp 1 tôt le lendemain matin, pour commencer à grimper avant que le soleil ne soit trop intense. La montée jusqu’au camp 2 se passe très bien. Nous nous y reposons environ deux heures avant de repartir en direction du camp 3 que j’atteins plus tôt que prévu. Je suis exténuée, mais extrêmement fière de moi et très heureuse d’y rejoindre Sylvain. Je remercie Mingma de m’avoir fait confiance. Sans lui, je serais seule au camp de base à me morfonde.

Vers le Camp 4

Vers le Camp 4

Le lendemain matin, nous amorçons l’interminable montée vers le camp 4. En chemin, nous assistons à ce que nous croyons être un sauvetage, mais apprendrons plus tard qu’il s’agissait plutôt du rapatriement du corps d’un grimpeur japonais décédé suite à une chute près du camp 4. À cette hauteur, la montagne est sans pitié ! Nous continuons de monter, monter et encore monter pour finalement arriver au camp 4 situé environ à 7400m. J’essaie de dormir un peu, mais j’en suis incapable, le stress et le froid m’en empêchent.

À minuit les préparatifs commencent, mais à cette altitude chaque action demande énormément d’énergie et est réalisée au ralenti. Nous quittons finalement le camp 4 en direction du sommet vers 1h30. La pente est douce et l’apport supplémentaire d’oxygène est très aidant. La montée se passe assez bien à l’exception que j’ai très froid aux orteils. À chaque pas, je les bouge afin d’activer ma circulation sanguine. La stratégie semble fonctionner, mais j’ai peur de devoir rebrousser chemin à cause d’engelures potentielles. C’est donc avec un immense plaisir que j’aperçois les premières lueurs réconfortantes du soleil et de la vue qu’elles me procurent du sommet. À ce moment-là, une seule pensée m’habite, aller au sommet.

En direction du Sommet

En direction du Sommet

Vers 8h00, j’arrive à un plateau communément appelé le « faux sommet ». Sylvain m’y attend depuis un bon moment déjà afin que nous grimpions ensemble les derniers mètres vers le sommet. Cette courte montée vers le sommet consiste à gravir une arrête exposée et me semble interminable. C’est avec soulagement que j’aperçois finalement les drapeaux de prières tibétains. Ça y est, j’ai réussi, je suis au sommet du Manaslu, la huitième plus haute montagne au monde !

L'auteure au sommet du Manaslu

L’auteur au sommet du Manaslu

Mais, qu’est-ce qui me passe par la tête à ce moment précis ? Une joie intense ? Un sentiment d’accomplissement ? La concrétisation d’un rêve ? Pour être honnête, je ressens très peu d’émotions à ce moment précis. Je suis très heureuse d’être sur le sommet, mais en même temps je suis très préoccupée par la descente, car je sais bien que c’est lors de cette étape se produisent la plupart des accidents. C’est seulement une fois de retour au camp de base que je me suis permis de ressentir véritablement la joie et la fierté d’avoir eu le privilège de passer quelques instants de ma vie au sommet de la montagne de l’esprit.

De retour au Camp 4

De retour au Camp 4

(1) Nous nous sommes joints à une équipe internationale constituée au total de cinq grimpeurs, un sirdar, cinq sherpas et trois cuisiniers.

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