La Loutre

Par Yan Mongrain

Le début de la saison d’escalade de glace de l’hiver 2018-2019 est le meilleur que j’ai vécu à date. Chaque saison est comme une boite à surprise. Celle-ci contient inévitablement de vielles connaissances qu’il fait toujours plaisir de visiter mais parfois aussi des nouvelles cascades éphémères à rencontrer. Dame nature nous a donné cette année un joyeux cocktail de précipitation et de froid qui a donné libre cours à la formation hâtive de plusieurs cascades au Québec dont une grande classique du nom de La Loutre. La colonne de la dernière longueur est habituellement brisée et la dernière fois que celle-ci s’est formé était en 2011. Cette année-là, j’ai manqué ma chance d’aller lui rendre visite.

La Loutre est située dans le parc des Hautes Gorges de la Rivière Malbaie juste à gauche à côté de la Pomme d’Or. L’hiver 2018-2019 est également la première année que le parc national propose des activités hivernales et entretient la route jusqu’au barrage des érables. La distance à parcourir entre la voiture et La Loutre/Pomme d’Or est donc passé de 33 Km à 5 Km. Nous vivons présentement une sorte de démocratisation de l’accès du parc. Il est maintenant possible d’accéder au parc et d’y grimper dans la même journée. Ce changement signifie également que nous avons maintenant l’information sur l’état des cascades beaucoup plus facilement. C’est une réalité bien différente que de devoir parcourir 33 Km en autonomie complète avec tout le matériel nécessaire pour y dormir quelques jours en espérant que les cascades sont formées et en conditions. Cependant, il ne faut pas se faire d’illusion, malgré ce changement d’accès l’escalade y demeure très engagée avec ses parcours de plus de 300 mètres.

C’est dans ce contexte qu’une seule photo sur les réseaux sociaux de La Loutre en condition est venue enflammer mon imaginaire et m’a fait rêver pendant quelques jours. Je n’allais pas manquer ma chance une deuxième fois. Il était temps de faire appel à la chèvre (Charles Roberges) et à la marmotte (JP Bélanger), tous deux membres en règles du règne animal et glaciériste aguerrit. Un seul cri primitif du blaireau (c’est mon nom ça) suffit pour les convaincre d’aller rencontrer cette Loutre éphémère qui s’est pointé le bout du nez exceptionnellement cette année.

Voici donc le récit de cette joyeuse rencontre.

L’hôtel à Clermont est pas mal miteux. Il y a seulement 2 lit doubles microscopiques et nous sommes 3. Il est déjà 23 heures et la nuit s’annonce courte avant notre départ alpin dans seulement quelques heures. Selon nos calculs savants, nous devons partir de l’hôtel à 3 heures du matin si nous voulons commencer de grimper aux premières lueurs de la journée. Pour la première fois nous parcourons en voiture la route maintenant délayée jusqu’au barrage de l’érable. La distance me semble interminable et je reconnais certaines sections du parcours dans lequel j’ai déjà donné mes tripes à skier avec mon traîneau. Le café chaud dans mes mains et Neil Young qui chante « Rock’N’roll will never die » dans le confort de la voiture confirme la fin d’une époque dans les Hautes Gorges de la Rivière Malbaie. Mon moment de nostalgie ne dure pas longtemps.

Nous quittons la voiture à 4 1/2 heures du matin. Le moral des compagnons de cordée est super bon. Comment ne pas l’être ! Le sentier est damé à la perfection sur 12 pieds de large et nous pouvons marcher côte à côte. Nous parcourons les 5 Km du sentier qui longe la rivières Malbaie à la lueur de nos frontales.

Deux heures plus tard nous trouvons facilement le début de notre objectif. Bien que la colonne de la dernière longueur soit formée, la cascades de glace de La Loutre n’est pas formé dans son intégralité jusqu’au pied de la paroi. Nous devons donc emprunter un départ alternatif du nom Cascades 74 afin de rejoindre le début de la glace de La Loutre quelques centaines de mètres plus haut. Ce nom est trompeur car cet itinéraire ne compte pas de glace mais consiste plutôt à emprunter une grande rampe en mixte vers la droite afin de rejoindre un grand dièdre. Ce dernier donne accès à une grand vire qui marque la fin du mixte et le début de la glace de La Loutre.

Le jour se lève et nous sommes prêt pour débuter notre ascension. Si les français peuvent emporter avec eux des croissants chauds en montagne à Chamonix, nous pouvons quant à nous emporter un grand classique des pays d’en haut tout aussi raffinée.

Je grimpe rapidement les deux premières longueurs sans trop de difficulté. La colonne tout en haut de la voie est déjà visible et même de loin, celle-ci est impressionnante.

La troisième longueur de corde est un magnifique dièdre tout en roche. Cette longueur de style écossait est délicat et le granit compact offre juste assez de protections afin de se convaincre que la longueur est sécuritaire.

Je suis content d’avoir négocié les 3 premières longueurs et d’avoir rejoint le début de la glace de La Loutre. Je donne le lead à la Chèvre qui avec son arme secrète sur son harnais, les Timbits, attaque glace. La chèvre porte bien son nom car les deux longueurs de 60 mètres son grimpé au galot.

Nous sommes maintenant assez haut sur la paroi et la vue sur la vallée est à couper le souffle.

La colonne est bien visible et nous commençons à visualiser de quelle façon nous allons négocier la longueur clé de La Loutre.

La colonne est située dans un amphithéâtre très haut sur la paroi. La base de celle-ci est une pente de neige qui monte vers la droite et redescend et rejoindre les dernières longueurs de la Pomme d’Or. Puisque nous sommes une cordée de 3, j’en profite pour aller explorer un peu. Le point de vue de la colonne sur la pente de neige est idéal et je m’installe pour prendre des photos. C’est au tour de la Marmotte de prendre le lead pour le grand prix de la voie. Comme une Marmotte digne de ce nom, celle-ci a fait des réserves tout au long de la voie et vient de sortir de sa tanière.

Rapidement, l’itinéraire choisit à droite n’est pas l’idéale car ça coule beaucoup. Une traverse à gauche est nécessaire afin de d’éviter l’eau qui coule. La marmotte se rend alors dans la grotte de glace derrière la colonne.

C’est ici que Claude Bérubé et Régis Richard ont passé la nuit lors de la première ascension de La Loutre en 1977. La grotte de glace est magnifique et nous réalisons que la colonne est en réalité un rideau de glace très large d’a peine 1-2 pieds d’épais. Il ne reste qu’une seule longueur afin de sortir la voie. La marmotte est en feu et s’engage dans le derrière longueur.

De l’intérieure de la grotte, le bruit des piolets qui pénètre dans glace est intense et raisonne beaucoup dans cet environnement clos. Je suis tendu tandis que la chèvre à coté de moi broute des Timbits. Moi qui croyais que ses nouvelles oreilles bioniques allaient lui faire découvrir les différents bruits de la glace. Lorsque c’est à notre tour de grimper et que nous sortons de la grotte, l’exposition au vide est extrême. C’est toujours difficile de sortir du confort d’une grotte de glace aussi confortable et d’être soudainement face au vide. La Marmotte a fait preuve d’une grande résilience afin de grimper cette longueur d’anthologie complètement verticale sur plusieurs mètres surtout après avoir grimpé les 6 premières longueurs de la voie. Chapeau! Nathalie Thibault qui est de passage dans le Parc capte l’ascension de la Marmotte de la rivières plusieurs centaines de mètre plus bas.

Photo: Nathalie Thibault

Un rêve enfin devenu réalité d’être au sommet de La Loutre en si bonne compagnie. Merci les gars !

Nous débutons la descente au même moment qu’il commence à faire noir et la température chute drastiquement. Il vente fort et il fait environs -20 degré Celsius. L’ascension n’est qu’une partie de l’aventure et nous devons maintenant négocier la descente en sécurité. Les rappels vont bien mais nous savons que la section mixte de la troisième longueur peut être problématique car il y a beaucoup d’endroit où les cordes peuvent se coincer. Ce scénario est la hantise de tous les grimpeurs car nos cordes sont littéralement nos lignes de vie. Malgré nos efforts, nos cordes restent coincées bien malgré nous dans la troisième longueur. La situation devient alors très sérieuse. Nous avons deux options: Soit remonter sur prussik les cordes ou couper les cordes. Je n’aime pas du tout l’idée de prussiker des codes glacés de 7.8 millimètres sur plusieurs mètres. Nous optons pour la deuxième option de couper les cordes et de continuer la descente avec les bouts de cordes qui nous restes. J’ai un pincement au cœur en sortant mon couteau de couper les belles cordes de la Marmotte. Celles-ci se coupe super facilement en seulement 3 coups de couteaux. C’est fou comment nous dépendons de ces petites cordes en nylons tellement solide et fragile à la fois. Nous sommes maintenant commis à trouver notre chemin avec nos petits bouts de corde. Nous n’avons plus aucune marge de manœuvre et la tension est palpable. Nous continuons la descente malgré tout en effectuant de courts rappels sur des relais improvisés. Pitons, bloc de roche cravaté et petits arbustes sont utilisés de façon créative afin rappeler le reste de la voie en sécurité. Malgré la fatigue nous arrivons finalement au pied de la paroi sain et sauf. Ce point de chute marque en réalité le sommet de la voie.

Nous entamons le sentier du retour soulagé d’avoir pris les bonnes décisions suite à l’incident fâcheux des cordes coincées. Le chemin du retour me laisse le temps de digérer ce que nous venons de vivre et comment nous avons malgré tout pris les bonnes décisions. Je réalise également l’importance de s’aventurer dans ce genre de terrain avec les bons partenaires sur lesquels nous pouvons compter. Malgré le changement au niveau de l’accès du Parc, l’endroit demeure un des plus beaux terrains de jeu d’aventure du Québec et ce changement n’a pas dénaturer en aucune façon l’essence de l’endroit.

Le ciel est majestueux et dépourvu de toute pollution lumineuse. La constellation d’Orion est alignée parfaitement au-dessus du sentier. Nous avons tous les trois un souvenir indélébile de notre aventure sur La Loutre.

Le Blaireau (aka Yan Mongrain)

Voici un bref résumé du détail des longueurs
L1-M4(55m) Diedre roche jusqu’à au début de la rampe
L2-M facile(55m) traverser la rampe jusqu’au pied du dièdre
L3-M5(60m) Grimper dièdre jusqu’à la vire
L4-WI4+(60m) Suivre la glace
L5- WI4(60m) Grimper jusqu’au pied de la colonne
L6- WI4+(35m) Grimper la base de la colonne par la gauche et rejoindre la grotte
L7- WI5+(40m) Grimper la colonne

Les points rouges représentent les relais.

MESSAGE DU DIRECTEUR DES PARCS DES GRANDS-JARDINS ET HAUTES-GORGES
Avec l’ouverture hivernale des Hautes-Gorges, plusieurs cascades de glace sont maintenant accessibles. Cependant, l’escalade de glace qui se pratique hors sentier dans un parc national, demande une autorisation d’accès à l’arrière-pays tel que la démarche est décrite dans la section escalade de glace dans l’onglet « activités » de la page web du parc. Aucun frais supplémentaires aux autorisations d’accès au territoire, que tous doivent payer. Avec le suivi de ces règles assez simples, nous éviterons des situations désagréables pour tous. Merci de faire le rappel aux grimpeurs. Bonne grimpe! – Daniel Groleau

3 Comments on "La Loutre"

  1. Yé! Beau récit, belle aventure. Bravo les gars!

  2. Il y a toujours la possibilité de vous rendre une centaine de metres au sud et de rappeler la voie les Clandestins en 4 rappel de 60m si jamais vous y retournez une autre fois.

  3. Vraiment bon trip report!

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