Le K2 : la montagne de tous les périls… ou pas, c’est selon

Le K2 en 2006 lors de mon départ - Photo: Ian Bergeron

Éditorial par Ian Bergeron

Cette année aura été forte en rebondissements et je ne parle pas des toutes les vagues de COVID successives mais bien de la saison au K2. Après les succès de MariePier Desharnais, c’est le tragique décès d’un autre Québécois en Richard Cartier et de son compagnon australien Matt Eakin qui a retenu l’attention. Ce dramatique événement rouvre les plaies du départ de Serge Dessureault en 2018 dans des conditions similaires.

La mort de Richard et Matt est survenue à quelques heures de l’arrivée d’un nombre record de personnes convergeant vers le sommet. Les circonstances de l’accident des deux alpinistes demeurent fort nébuleuses et nous n’aurons probablement jamais de réponses à toutes nos questions.

Ce dont je veux essentiellement discuter c’est que le K2 a vu pas moins de 141 personnes au sommet en une seule journée. Oui, oui, 141 en un jour! Mais comment est-ce possible puisque cette montagne est considérée comme l’une des plus difficiles au monde?

En fait, si on regarde la liste des summiters, on constate que le ratio clients guides/Sherpas est de 1 pour 1.7, soit 50 clients pour 91 Sherpas. Je sais, les Sherpas ne graviront pas la montagne à votre place. Cependant, les Sherpas transporteront une quantité phénoménale d’oxygène pour vous vers les différents camps. Ils installeront les cordes fixes jusqu’au sommet. Ils feront la trace dans la neige profonde et, finalement, peuvent vous « short-roper » dans les sections difficiles. Cette pratique consiste à tirer le client un peu comme on le fait avec les queues de Félix sur les vélos pour enfant.

L’utilisation massive de l’oxygène n’est pas à négliger. Les clients de ces grosses machines ont fait leur acclimatation en n’effectuant qu’une seule rotation au Camp 2 (+/- 6700m) versus ce que je vais appeler les traditionalistes qui ont dû faire 3 rotations dont une finale au camp 4 à près de 8000m, avant d’effectuer le push final. Bref, les tout-inclus ont grimpé la montagne 1,5 fois alors que les traditionalistes 3,5 fois. Bon, j’arrondis mais vous voyez le topo… Moins de rondes, donc moins de fatigue et, selon la quantité d’O2 à l’heure, on peut se trouver à 8600m mais se sentir comme à 6500m ou même plus bas si la valve est grande ouverte.

Revenons sur le ratio sherpa/client une minute. Oui, le ratio lors de la journée du sommet était d’environ 1,7 sherpa pour 1 client, mais il faut savoir qu’on ne parle ici que des Sherpas réservés à la journée du sommet. Il y a une petite armée derrière ces derniers et tous ont des rôles très spécifiques : fixer des cordes, setter les camps, monter de l’oxygène, etc. Ces travailleurs de l’ombre ne sont pas ceux qui vont au sommet avec les clients. Si on rajoute tous ces Sherpas le ratio passe probablement à du 4 pour 1, voire plus.

Plus tôt, je parlais de « tout-inclus ». Le camp de base a aussi beaucoup changé depuis mon passage en 2006. Les tentes communes ont des divans gonflables et du tapis. Les repas sont drôlement plus élaborés qu’auparavant où il était commun d’égorger une chèvre avant de la dépecer sur place pour la faire vieillir au soleil. Riez pas, j’ai des photos! Y’a même des sessions de yoga matinales, question d’occuper le chakra des clients pendant les temps morts. On est loin ici du lyophilisé dans nos petites gamelles en titane à attendre la prochaine fenêtre météo!

Évidemment, tout ça a un prix. Une petite visite sur le site d’Elite Exped, la compagnie de Nimal Purja, nous permet de constater que ce service VIP vient avec la coquette somme de 90,000$ CAD pour le combo hotdog-poutine (K2-Broad Peak). Pour avoir le privilège de grimper avec Nimal lui-même, il faut probablement doubler la mise. Sais-pas pour vous, mais il faut en vendre des t-shirts pour amasser 90,000$ CAD! À 15$ du t-shirt, 50% de profit, c’est… 12,000 gaminets!


Le Bottleneck n’aura jamais si bien porté son nom que cette année. Mettons, on jase là, qu’un petit bloc d’une demi-tonne se détache du glacier un peu plus haut, comme en 2008, vous imaginez l’hécatombe?

C’est la modernité. La montagne s’adapte aux réalités du marché. Si les gens peuvent payer, pourquoi s’en plaindre? Monsieur madame tout-le-monde ne voit pas la différence. Tout ça est vrai, mais ça ressemble quand même aux Américains qui venaient chasser au Québec avant les années 70. Ils arrivaient en hydravion après qu’un guide ait trouvé LE gros bock avec le gros panache et en l’ayant traqué pendant des jours. L’Amerloque sortait de l’avion, marchait une trentaine de minutes et BANG! L’original était mort. Quelques coups de pied sur la bête, des photos et hop, un scotch au lodge. Le lendemain, il repartait en avion avec le panache tant convoité. Il pouvait ainsi se vanter à ses potes de Wall Street du grand chasseur qu’il était.

J’ose espérer que le balancier de l’histoire va ramener la montagne à une forme plus pure et moins mercantile de la grimpe. Peut-être que ça viendra comme nous l’avons fait, par une protection du territoire afin de le préserver et ne pas le limiter qu’aux plus riches. Si un jour les autorités réalisent les joyaux que sont ces grands sommets, elles voudront peut-être les protéger. En attendant, il faudra peut-être relire la définition du mot grimper et adapter notre façon de penser?

Définition dans le Larousse:
Grimper : Accéder à un lieu élevé, au sommet de quelque chose, s’installer sur quelque chose, avec ou sans idée d’effort : Grimper sur un tabouret. (NDLR : Grimper sur un 8000m)

Comme le disait Paul Ramsden, quatre fois récipiendaire du piolet d’or : « Tout est dans la manière. Sans la bonne manière, grimper devient un activité physique vide de sens. Pour moi, cela veut dire en style alpin, sans plaquettes, sans cordes fixes, sans support extérieur ».

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