Par Tom Canac
La fin de semaine du 4-5 juillet, ma partenaire en crime, Cynthia Roy-Leblanc et moi-même, sommes allés passer deux jours sur le Gros Bras. Notre première journée nous sommes allés refaire le classique Hals Und Beinbruch, avec variante dans rencontre, pour s’échauffer. Le lendemain, nous sommes sortis des sentiers battus en allant explorer Le Troisième Lien.
Avec un nom sorti tout droit d’un film de la science-fiction (ou de la ville de Québec, au choix), cette voie est relativement récente: ouverte en 2018 par mon ami Pierre-Alexandre Paquet (plus connu sous le nom de Péa) en préparation d’un Trad Pow Wow. Le Troisième lien bifurque après la première longueur de Sinus, se poursuit en parallèle dans le même secteur, et nous amène à deux options de fin: partir dans un toit dans les 5.10 en fissure large, ou rejoindre sagement la superbe rampe finale de Sinus.

PA dans la traverse qui marque le début de la 3e longueur de la voie Le troisième lien sur le Gros-Bras, Parc National des Grands-Jardins. Photo: Marc-Olivier Arcand
Et quelle seconde longueur! Courte mais vraiment magnifique! Au lieu de suivre le dièdre de Sinus, on lève les yeux, et on part dans une fissure à main directement au-dessus du relais, complètement malade! Très vertical, avec de petites prises de pieds qui sortent pour que ça ne soit même pas dur, et des jams de mains comme dans les films. La protection? Béton.
Cette section est mon meilleur pitch a vie sur le Gros Bras, sans aucun doute (notez que ce n’est que ma 5ème voie différente sur le Gros Bras je ne suis pas non plus hyper familier avec le massif, mais je pense définitivement que cette longueur vaut le détour à elle seule, quitte même à repartir dans Jeu de Jenga pour la suite (voir le topo).
Arrivé au relais, je perds un peu de temps à construire un relais solide et bien placé. L’emplacement m’intimide, on est juste au-dessus d’un dévers, donc en dessous de notre petite vire c’est le vide. La prochaine longueur est dans mon dos mais je n’ose pas trop la regarder tant l’endroit commence à devenir vertical et sérieux. Une fois que Cynthia m’aura rejoint, faire demi-tour dans la voie ne sera plus vraiment possible.
– ASSURÉE….
– DÉPART…
Quelques minutes passent, elle me rejoint, puis c’est le moment de se lancer dans la troisième longueur. Le mur vertical qui m’attend patiemment derrière moi. On n’y échappera pas, il parait même que c’est pour ça qu’on est venu! La protection à l’air éparse vu d’ici, le topo mentionne un bloc instable.
Je respire un bon coup et je me lance.
Les prises sont bonnes. Finalement je croise même un bon petit placement en cours de route, qui donnera toute la confiance nécessaire à poursuivre l’exploration du mur vertical. Je pars sur la gauche. Le bloc instable est là, et en effet, Péa n’a pas menti sur la marchandise: un bon gros micro-onde bien bancal qui attend qu’on tire dessus! Je le contourne par la droite, enlève une prise instable au passage, et finalement je me retrouve au pied de la fissure qui constitue notre ticket de sortie de ce mur. Une bonne pro puis c’est parti, les mouvements d’escalade passent par un petit crux un peu plus technique, qui est bien évidemment augmenté par la sensation d’exposition des deux longueurs de vide qui amènent directement au sol sous mes pieds. Un secteur impressionnant!
Le rétablissement du mur se fait grâce à un hand jam salvateur puis on revient sur une section un peu plus en dalle, qui se protège bien. Nous avons établi un relais intermédiaire aux 20 mètres avant une section un peu plus surplombante, histoire de partir dans la dernière section du mur avec le plus de protections possibles. Rendu ici, la fissure et une partie du mur était mouillée, et je dois avouer avoir eu un bon doute sur le choix de l’itinéraire. Après une analyse du topo plus poussée (lire, envoyer un SMS à PA), j’en conclut qu’on est à la bonne place, qu’en fait j’ai juste peur de me lancer, et qu’il serait peut-être temps de se bouger si on veut finir par grimper la voie et pas passer la journée là!
Bon, plus d’excuse, c’est parti. Je dois avouer que cette quatrième longueur à clairement été la plus chaotique pour moi: le « crux » surplombant était fermé et rempli de mousse, l’eau dégouttait dedans… dans ma tête on était clairement dans un 5.12, maudit PA, je savais que c’était un sandbag 😉 ! Après un bon moment à jouer à grimpe dé-grimpe, protège redescend et recommence, je vois que ça ne passera pas pour moi, mes chaussons sont mouillés, j’ai de l’eau et de la mousse partout… je me résigne, je mets une pro bien haut, clip une sangle… « oops I did it again », j’ai tiré sur la pro! Pardonnez-moi grands gardiens de l’éthique du Gros Bras, j’assume!
Rendu à la vire au-dessus, Cynthia me rejoint, on est super contents, à partir d’ici plus vraiment de doute sur l’itinéraire ou sur l’issue de la journée, on sait que sortir en haut n’est qu’une question de temps. Une traverse sur la droite dans les arbres (BW1) pour assurer à partir de deux plaquettes douteuses, suivi d’une longueur de Bushwhack (BW2) nous amène à la base de la rampe finale de Sinus.
Rendu là c’est le plaisir total, on sait qu’on est bientôt sortis, la rampe à l’air superbe! Je m’y engage en m’attendant à un grand trottoir couvert de roches looses, mais à ma grande surprise, non! La roche est d’une qualité tout à fait acceptable! Quelques passages de grimpeurs, un petit coup de barre à mine et de brosse, et cette longueur serait classique, bien plus que Hals Und Beinbruch! Belle exposition, facile à grimper, se protège bien. 50m de grimpe continue en 5.7! Même pas un petit sandbag Gros Bras de dernière minute! Vraiment une belle longueur dans un feature qui est je trouve parmi les plus attirants du Gros Bras.
Au sommet de la rampe nous finissons en passant dans le dièdre puis dans un petit toit, pour un dernier mouvement surprenant et athlétique (5.8 awkward?) qui nous amène aux classiques dalles sommitales de thé du labrador et de bleuets.
Nous sortons de la voie bien heureux et ravis d’avoir exploré un itinéraire moins connu du gros bras. Voici notre feeling de cotations, encore une fois on n’est pas des grimpeurs de 5.13 avec 20 ans d’expérience sur le massif, donc ne prenez pas ça pour LA vérité, mais pour notre vérité 😉
Cotations et recommandation
L1: 5.7 (relais sur 2 pitons et 2 friends)
L2: 5.7 (relais sur protections)
L3: 5.8+ aérien (relais intermédiaire sur protections)
L4: 5.9 ? (relais sur protections)
Dans le topo L3 et L4 sont une grande longueur de 50m. À partir d’ici on est partis dans les longueurs finales de Sinus
L5: arbres (relais sur plaquettes douteuses)
L6: arbres (relais sur protections/ arbre/ assurage terrain)
L7: 5.7 (relais sur protections)
L8: dièdre puis toit (5.8?) Le reste arbres (relais sur protections au sommet ou assurage terrain)
L’exposition de la voie est vraiment magnifique, avec un début plein gaz, vraiment impressionnant et un niveau d’escalade raisonnable. Prévoyez un peu de marge peut être, l’exposition peut calmer! De plus la voie est encore peu fréquentée, mais je gage que de plus en plus de monde vont se diriger vers ce classique en devenir. Un point positif pour vous inciter à aller répéter cette superbe ligne: difficile de se perdre! Quasiment toutes les longueurs suivent des formations évidentes, et contrairement à de nombreuses voies du Gros Bras, avec le topo et un minimum d’analyse, c’est quand même facile de savoir où on est et être sûr qu’on suit encore le tracé d’origine. À noter que ça vaut probablement le coup de la garder pour des périodes sèches et/ou un temps avancé dans la saison, ça coule longtemps dans les fissures de la longueur 3! Peut-être qu’un bon brossage aiderait à sécher ça plus vite?
Bref, la voie est belle, la pro est bonne, la roche saine. Pour un 5.8+/5.9, cette voie offre une escalade esthétique, de beaux mouvements, et une exposition peu commune sur le Gros Bras. Le Troisième Lien, allez-y, c’est une bien belle voie!
Avec une photo exacte du départ de la voie, plus d’excuse pour ne pas y aller!
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