Par Arian Manchego
C’est mon tour au « bat » et je suis nerveux. Même en sachant ce qui m’attend dans la fameuse traverse du piton, je suis tout même stressé. En plus j’ai chuté deux fois en secondant la troisième longueur! Comme je déteste seconder car je grimpe alors sans faire attention. Bref, tout le nécessaire est là pour me rendre nerveux. Haaaa c’est bien correct, ce ne serait pas du vrai lead sans les nerfs hein?!
Ouverte en 2010, Grimpe dans le Piton (5.9+) (topo ici) est une des voies du Gros Bonnet qui a été ouverte « ground-up », une rareté de nos jours. Ceux qui explorent les falaises vierges sont au courant des dangers, des blocs instables et fissures sales. Ça prend une tête froide, un goût de l’engagement, une bonne dose de courage et, aussi, un peu d’insouciance!
Alors, c’est avec un sac-à-dos tout plein d’insouciance que Fred Desgranges et Louis-Pierre Tessier se sont aventurés sur la face sud du Gros Bonnet à l’été 2010. Par pure coïncidence, ce jour-là ma conjointe et moi sommes allés marcher à gauche de la grande coulée (aujourd’hui la fameuse trail à cordes fixes) et à notre grande surprise on entendait des voix plus haut sur la falaise. C’était Louis et Fred qui grimpaient à vue! Ils étaient rendus à la troisième longueur sur la paroi. Louis m’a crié, « la roche est propre et c’est pas plus dur que 5.9! »

Louis-Pierre et Fred à vue dans la troisième longueur de la Grimpe dans le Piton | Photo: Arian Manchego
Ce soir-là, j’ai raconté tout ça à Yannick Girard. Lui qui a parcouru bon nombre de faces vierges de la région, il ne s’était pas aventuré sur celle-là! Après une longue pause, il me répond « Hé bien…. honte sur nous! » On en a ri un coup, un peu de honte mais davantage de bonheur pour nos amis.
Fred et Louis me donnent bientôt des nouvelles. Ils ont finalement réussit une ligne direct, mais pas avant de purger des blocs immenses et d’ajouter des plaquettes dans des sections sans fissures. Le Purgatoire est finalement coté 5.10+ (ok ajoutons quelques petits +++ ).
En parlant avec Louis, j’étais un peu déçu que la ligne ne soit pas restée modérée jusqu’au sommet. Une ligne 5.9 qui fait toute la montagne, quelle trouvaille ça aurait été! Mais Louis m’informe qu’après la troisième longueur, il y a une grosse rampe qui part vers la gauche. Peut-être qu’elle déboucherait sur quelque chose de plus aisée? On décide d’aller voir.
C’était ma première fois à tenter la voie, mais avec les conseils de Louis on passe les deux premières longueurs et je fais un beau lead dans la troisième longueur. C’était dans mes premières fois sur le Gros Bonnet et la qualité de la roche me donne la chair de poule. Elle est ultra compact et sa texture est riche, rugueuse, déroutante. Les formes changent à chaque dix mètres et la lecture est mise à l’épreuve. À vue, ça m’a pris beaucoup d’efforts mais je me suis rendu au relais à la fin de la troisième longueur.

À vue dans la troisième, une des belles longueurs d’escalade-aventure à Portneuf
Louis m’a rejoint et je lui ai passé le rack. La journée était magnifique et on était crinqués de partir à la découverte! Laissons Louis raconter la suite:
Est-ce que ça passe ou non? Un feeling d’extase est associé à cette question juste avant de partir dans un nouveau chemin qui peut potentiellement déboucher au sommet. Assis dans mon harnais à côté d’Arian, j’ai le plaisir de pouvoir partir explorer cette traverse qui, je l’espère, maintiendra la cote modérée vers le sommet. En quittant le relais, il y a ce rétablissement qui donne le ton, qui nous charme par une certaine complexité gestuelle et où l’envie de tirer juste un peu sur un piton pourrait vous effleurer la conscience. J’avance sur la rampe jusqu’à qu’un gros bloc obstrue le passage, je fais un relais de fortune et Arian me rejoint.

Louis dans le début de la traverse | Photo: Arian Manchego
Arian passe par-dessus le bloc où il dit voir quelques options, mais rien d’évident. Alors il fait un relais et je le rejoins à mon tour. Je vois pourquoi il s’est arrêté, on regarde les possibilités parce que le chemin perd un peu de son évidence. On décide de continuer la traverse, qui est plutôt devenue diagonale. D’abord je cherche où mettre une pro, ça commence déjà à sentir le « R », mais je continue néanmoins. Un move précaire de dalle me permet d’aller placer une assez bonne pro, mais je dois revenir sur mes pas pour continuer vers la gauche.
Un ou deux moves et me voilà plus ou moins accroupi devant un surplomb et c’est à ce moment qu’un doute intense comme j’en ai rarement eu m’envahit: je suis dans une position qui n’est pas des plus reposantes; si je veux continuer je dois contourner un coin à gauche et ma dernière pro solide est assez loin à ma droite. Un risque de chute en pendule ne laisse jamais indifférent, mais un pendule à cet endroit: oublie ça!
Une question importante: si je m’engage, est-ce que ça se grimpe? En tâtant de l’autre côté du coin, une craque assez bonne me donne confiance. Le doute est là, mais l’envie d’avancer l’emporte et je m’engage en dulfer, les mains à côté des pieds et l’épaule droite contre le mur. « Je dois plugger une pro au P.C! » Ce que je fais à l’aveuglette, mais elle semble bonne. « Yes, la craque continue! »
Quelques moves de dulfer et en libérant ma main droite pour chercher s’il y a d’autres prises au-dessus de ma tête: le baquet magique. Quelques mètres d’empilements de blocs lousses et voilà un spot intéressant pour faire le relais et assurer Arian dans cette belle découverte.

Le chagrin de l’assureur, « Oh my god je vais devoir seconder ça » | Photo: Arian Manchego
Quand Louis m’a crié qu’il était auto-assuré, j’étais content mais anxieux, j’avais bien vu qu’il avait bûché un peu! J’ai secondé avec trépidation. Mais effectivement, ça passait; c’était épeurant mais pas difficile! J’ai rejoint Louis au relais en poussant des cris de joie. La fissure de la dernière longueur était devant nous, elle était franche et évidente et Louis a fait un dernier beau lead dedans. Il nous semblait clair d’avoir trouvé un bijou de grimpe. Ainsi, notre belle aventure s’est terminée et nous sommes passés à la grosse étape de nettoyage.
Six ans plus tard, me revoilà enfin dans la voie, au début de la traverse. Ma partenaire a super bien leadé la troisième longueur et je me suis rendu malgré des gâchis. C’est à mon tour de leader, je me dis « Allez, débraye mon homme » et je pars.
Drètte en partant du relais, les mouvements sont bizarres, mais je me suis trouvé une séquence qui me fait virer à l’horizontal. Suite à du fignolage de pieds et de mains en opposition, me voilà debout sur la grande traverse. On dirait presque qu’on serait capable de la marcher cette rampe! Mais c’est comme si on était dans un petit cauchemar…. elle est juste un peu trop inclinée pour qu’on soit bien et il y a des graines sur la surface, alors on marche, mais doucement! Les mécaniques sont petits, attention Arian, gardes toi s’en pour la fin, fais pas comme Valérie, qui a dû dé-traverser le pitch par manque de pros! J’arrive au gros bloc.
Avant d’entamer le contournement par le bas, je place une bonne pro, petite mais solide. Je me positionne pour le move…. mais il me manque un gros douze pouces. Je me reprends, avec un horrible petit crimp pour la main droite, le pied droit en piètre friction, au bord du débalancement dans le grand vide. Merde, il me manque encore quatre pouces! Là je me concentre comme il faut. Je me rend le plus petit possible et, avec un méga grognement, mon pied atteint tout juste la prise clé. Ouf!! (Depuis j’ai appris qu’il existe un bêta qui rend ce passage plus facile.). Je contourne le bloc, fait un move vers le haut, il y a zéro pro mais des grandes prises.
Arrivé sur une grande tablette, j’en profite pour retourner un peu vers la droite et placer une pro pour mon second, elle va être ultra heureuse de d’ça! Maintenant le dièdre final. Merde, d’abord il faut faire le rétablissement sur la dalle pas-de-pros. Attend, si je recule un peu il y a le no 2 qui se place, juste là. Ok, allons voir ce rétablissement. Ok j’ai juste besoin de lancer mon pied gauche ici. Je le lance, mais à mon premier essai ce n’est pas assez haut. Je ne fais que « botter » la paroi et je suis presque éjecté dans le vide! On se calme, on se calme. Allez fais pas ton vieux stiff, le pied monte ici. Avec un peu d’aide de la main, haha! Voilà! C’est bon ça, maintenant un transfert de poids et yes! Je suis rendu au dièdre.
Et voici une bonne fissure pour de la pro. Tiens, mettons-en deux. Ok ne niaisons pas là trop longtemps, c’est un repos mais pas le Pérou! On respire. Dulfer avec des bons doigts dans la fissure. Garde tes pieds le plus loin possibles de la paroi Arian. On respire, on respire, ça va bien. Je plogue une autre pro, un peu à l’aveugle cette fois, la fissure est bonne et je la clip. Encore des petits pieds, ça devient plus technique, on respire! Ici je vais faire comme Louis… et voilà, j’ai le jug caché au-dessus du toit, fiou! Je me reset, je fais le move qui me place pour la finale, je place la nut pour la protéger, ensuite le swing du corps au-dessus du vide. Enfin. je suis sur les grandes prises de sortie! MALADE!!! Une grosse pensée pour Louis qui avait fait ça à vue.
La Grimpe dans le Piton…. allez la faire!
Brillant!! Une sacrée belle aventure et très bien racontée! La question qui tue est de savoir si quelqu’un a déjà pris la chute (en lead ou en second) de la traverse? 🙂
Brrr, une chute! Moi j’ai rien entendu encore. Mais Valérie Levée avait leadé toute la traverse… et manqué de petits cams pour le diedre final… alors elle a retraversé le pitch au complet jusqu’au relais antérieur 😮
J’ai oublié de mettre un lien vers un vidéo que Fred avait fait. Lors de la fin des travaux on avait fait une sortie en groupe…
https://www.youtube.com/watch?v=CrncG3Uc7bc
J’ai apprécié la lecture de ce récit supporté par des photos. Le vidéo est également bien intéressant! On sent bien les grimpeurs tripper fort! Celui avec fred est égalent cool! Merci
Winter is coming!