La dernière fois que j’ai fait l’ascension de La Ligne Jaune (5.7), à Weir, remonte à une bonne douzaine d’années. C’était un après-midi d’octobre et j’étais accompagné d’un alpiniste espagnol que j’avais rencontré l’année précédente lors d’un voyage au K2. Oscar Cadiach est une sommité dans son pays. Tout le monde qui grimpe en Espagne le connaît. En 2004 il avait participé à la répétition d’une des lignes les plus difficiles sur le K2, soit la Magic Line. Oscar était de passage à Montréal pour présenter son film sur leur aventure et nous avions profité du beau temps pour aller faire une petite grimpe.

L’auteur dans la première longueur | Photo: Oscar Cadiach
Au pied de la paroi, j’invite mon illustre ami prendre les devants. Il décline l’offre prétextant vouloir se familiariser avec le rocher. J’enfile assez rapidement la première longueur qui fait 60 mètres bien juste. Anciennement, cette longueur était divisée en deux, mais avec les cordes « modernes » il est devenu habituel de se rendre directement aux scellements sous le mur déversant. Mon ami catalan me rejoint à son tour en complimentant la voie et mes placements. Évidemment, sa langue maternelle est le catalan, suivie de l’espagnol. Viennent ensuite un peu d’anglais et/ou de français. Moi ? Je ne parle incontestablement pas catalan et mon espagnol ressemble essentiellement à de l’italien avec un accent mexicain.
C’est dans un enchevêtrement de langues, digne de la tour de Babel, que je lui explique la prochaine longueur. Celle avec le « petit pas descendant » qui contourne le coin de falaise et nous mène dans un « blind spot ». C’est à Oscar de prendre le lead et j’essaye de lui expliquer ce qui s’en vient. Pas tant que je m’inquiète pour lui que pour moi. Les traverses en second de cordée, je n’ai jamais vraiment affectionné, aussi faciles furent-elles.
– Oscar, ici tu gardes les mains en haut, près des pros et ensuite tu descends tes pieds là, plus bas, ok?
– Si, si, ok
– Ensuite tu fais un relais et je vais te rejoindre, ok?
– Si, si, ok
– Tu comprends ?
– Si, si

Oscar avant de tourner le coin dans la L2 | Photo: Ian Bergeron

Ian, tout sourire que l’on se soit compris! | Photo: Oscar Cadiach
Oscar part et effectue le « petit pas descendant » sans vraiment de problème. Il tourne ensuite le coin et s’en suit une courte pause. « Il est à installer le relais », me dis-je. Il tire alors sur la corde et je lui accorde une bonne dose de lousse. Nécessairement je continue à l’assurer, n’ayant pas de signal que le relais est installé. Il tire la corde une seconde fois. Je lui donne encore passablement de mou. « Il est probablement en train de faire un relais avec les deux cordes », me re-dis-je. Il tire encore et je lui redonne une bonne brassée de mou. Au bout d’un instant je commence à réaliser qu’il n’a pas fait de relais mais qu’il a probablement continué directement vers le haut. Probablement, car je ne le vois pas et je ne peux que fabuler.
Et là c’est long. Je ne comprends pas ce qui peut être aussi long. Finalement, j’entends crier « OK » ! Ok quoi ? Ok, t’es ok ou bien ok je peux partir ? Le doute m’envahis. Qu’est-ce que je fais ? Je tente de valider sa situation.
– Oscar, le relais est fait ?
– Siiiiii, siiiii, ok!
– Je peux te détacher ?
– Qué ?
– Je peux grimper?
– Siiiii, siiii, ok!
Soudainement la corde se tend. Je comprends que c’est à mon tour. Faire une traverse avec un « petit pas descendant » avec des cordes doubles à sec, ce n’est pas évident. Je tente de m’exécuter avec beaucoup de difficulté.
– Du mouuuuu
– Qué ?
– Suave, suave
– QUÉ ?
– Slack !
Avec un peu de mou, j’arrive enfin à tourner le coin pour réaliser qu’Oscar a emprunté un nouveau chemin. J’observe l’itinéraire et réalise qu’il a clippé le vieux piton rouillé à gauche de la cheminé. Il s’est donc engagé dans la belle ligne de champignons mouillés et dégoulinant de bonheur. Comme les protections étaient là, je n’avais d’autre choix que de suivre le chemin tracé par mon illustre compagnon.
Voulant jouer l’hôte parfait, je ne dis rien. Il ne faut pas froisser la visite ! Force est de constater que c’est « mas dificil ». Je m’exécute nerveusement et, avec beaucoup de peine, je sors le bloc suintant non sans avoir gratté comme un chat dans une litière. Malgré les placements de pros, j’arrive à m’insérer dans la petite cheminée et à y continuer mon ascension. J’ai tout de même une pensée pour Oscar qui a leadé cette section avec une tonne de mou. Comme quoi la chute n’était pas une option tant ici que sur la Magic Line.

Ian dans la cheminée, après le beau piton | Photo: Oscar Cadiach
Arrivé au sommet de la voie je fais mine de rien et le complimente sur son ascension. Je le questionne tout de même sur son choix d’itinéraire.
– Y’é vu une belle pitonne
– Ah oui, le beau piton…
Quiconque est passé par là sait que le piton en question est complètement rouillé et qu’il doit dater de la période précolombienne. L’année suivante, je suis allé grimper à Montserrat et j’ai compris pourquoi il qualifiait le piton de beau ! Mais ça, c’est une autre histoire…

Ah, oui, le beau piton… | Photo: Oscar Cadiach
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Hahaha, merci Ian!