Par Ian Bergeron
C’est une journée chaude de juillet et un grimpeur de passage à La Malbaie se cherche un partenaire. Je suis en vacances alors j’offre de l’accompagner. Dans le stationnement du Dôme on discute brièvement des plans de la journée. De toute évidence, mon nouveau partenaire est beaucoup plus fort que moi! On décide de faire Tache Blanche (5.10c), une voie mythique ouverte par le regretté et légendaire Régis Richard (avec Jacques Lamontagne et FX Garneau) en 1975.
Vu d’en bas, la dalle semble lisse et dépourvue de toute aspérité. La ligne est vertigineuse et intimidante. Du moins à mes yeux de grimpeur peu audacieux! Mon partenaire, dont j’oublie le nom, appelons le Jean-François, s’élance avec constance. Dès les premiers mouvements de la première longueur, on sait qu’on va en baver un coup. Les protections sont petites, éloignées et les prises sont minuscules. Une 5.10 solide… Jean-François avance avec aisance et prudence. J’observe avec attention sa progression afin d’enregistrer le plus de beta possible. Il arrive au relais, s’installe et me dit que c’est difficile, mais très beau. Quelques instants plus tard je m’élance à mon tour.
Après un 2 mètres aux déplacements délicats, dont un redressement sur une petite vire, on attaque la longue dalle polie. Plus on avance, plus les prises deviennent petites. Un peu comme remplir sa tombe un mouvement à la fois! Le placement précis des pieds est primordial pour réussir cette longueur. On insère les gros orteils dans de minuscules trous ce qui, à la longue, fait terriblement mal. Vers la fin de la première longueur, on trouve quelques plaquettes car la protection y est impossible. Le sang-froid dont a fait preuve Régis Richard lors de l’ouverture est ahurissant. Je suis en second de cordée et j’en arrache passablement. Arrivé au relais, je m’esclaffe d’admiration à Jean-François pour son lead solide, tout en gémissant de douleur en enlevant mes varappes. En vérité je vous le dit, celui qui croît cette voie aura mal aux pieds!
La seconde longueur est une traverse vers la gauche et, de mémoire, elle implique un petit pas descendant et un superbe run-out. Tout second qui sera un jour confronté à un run-out sur une traverse, sera à même de constater les prouesses de son compagnon en lead. Je demeure longuement bloqué dans une section, de peur de faire un long pendule par en avant sur un petit 0,3. Dame Nature, constatant mon interminable hésitation, me force finalement la main avec un coup de semonce: un grondement de tonnerre! Omnibulé par mes difficultés, je n’ai pas remarqué que le ciel est devenu menaçant. Je m’élance à la grâce de dieu et, à ma stupéfaction, je passe et atteint le relais.

La seconde longeur de la Tache Blanche | Photo: Rémi Maupetit (www.camptocamp.org)
La troisième et dernière longueur est plus facile et assez courte et il ne faut que quelques minutes à Jean-François pour atteindre le sommet de la voie. Quand mon tour arrive, les cieux s’ouvrent et déversent des torrents d’eau accompagnés d’un peu de foudre ici et là. Je me hisse rapidement sur les cordes et nous effectuons un rappel éclair (c’est le cas de le dire) jusqu’au bas du Dôme. Arrivé sur le plancher des vaches, le soleil réapparait et les oiseaux se mettent à chanter.
Quelques années plus tard j’ai accompagné mon ami Olivier Higgins dans cette même voie. Il m’avait demandé:
– C’est quoi cette voie?
– Tache Blanche
– C’est beau?
– Très mais c’est dur!
– Combien?
– C’est officiellement 5.10c
– On y va?
– Heu… Ouais… Ok…
Rendu au premier relais, Oli me dit : «j’ai grimpé plusieurs 5.10 dans ma vie, pis ça, c’est du 11 solide»!

Parcours de la Tache Blanche
C’était pas .10a dans le guide de Yannick Girard? Un peu toff pour .10a je l’avoue, mais pas 5.11 certain… Selon moi, 10b (1 court crux)/8+/9+ D’autres avis?
Mais peu importe, ça reste une grande classique…
Les cotes… c’est toujours un bon sujet de controverse!
Jacques Lamontagne au Trad Powow l’an dernier me racontait comment ils étaient 3 au relais de la 1ère longueur, en équilibre, car leur relais était constitué d’un seul piton fixé…à leurs pieds… 🙂 Que l’on est chochotte!
Il y a une dizaine d’années, notre Jacques Laurendeau bien à nous l’avait grimpé avec moi. Il tenait mordicus et avait réussi,à la grimper avec seulement le piton et des noix. Selon lui, les plaquettes qui avaient été mises tuaient l’intention et la bravoure des ouvreurs. Pour ma part, je suis content qu’elle ait été équipé pour la sécurité et le bonheur de plusieurs. Mais ca reste qu’il est amusant de contempler les exploits et l’audace de ces personnages. C’est deux mondes bien différent que l’escalade d’hier et aujourd’hui.
tradpat le philosophe, je m’étonne que P-A n’aie pas encore commenté la chose.
Petite note pour la postérité: La 2e longueur originale peut encore être grimpée avec le même niveau d’engagement qu’à l’ouverture. Suffit de grimper tout droit sur les feuillets fragiles au dessus du premier relais avant de traverser trèèèèès délicatement vers la gauche jusqu’à la fissure de la deuxième longueur actuelle, le tout sans pro. Sueurs froides guaranties!