Par Charles Roberge
L’hiver de l’année 2017 aura été pour moi une saison marquée par une épopée en particulier. Le 24 janvier, à la suite d’une tentative dans une ambitieuse voie, je partageais ce petit texte sur ma page facebook :
Petite tranche de vie
Après 10 saisons hivernales à parcourir notre province à grimper nos belles voies de glace, j’ai l’impression d’être rendu à un tournant de ma carrière. Je suis rendu à vouloir pousser mes limites un petit peu plus, grimper des voies extraordinaires. Mais qui dit pousser ses limites ne signifie pas seulement la réussite, mais aussi l’échec.
Un ami à moi avait grimpé la Pomme d’Or à la fin décembre et à mon habitude, je lui ai demandé les conditions des voies du parc. Il m’envoie une photo de la Ruée vers l’or et je me suis mis à délirer en voyant le bas de la voie toute en glace. J’en fais part à mon ami JP et le délire devient collectif.
Nous décidons que le 23 janvier sera la journée où on irait voir ce monstre de plus près, avec un espoir minime de le réussir car c’est une voie monstrueuse, la plus soutenue qui soit et la plus incroyable qui m’ait été de voir au Québec. Nous invitons Pierre Raymond, un grimpeur saguenéen motivé, dont il se joint avec plaisir au duo.
Nous avions le set-up parfait : arrivée la veille, sentier tapé jusqu’à la base, réveil très matinal et surtout, une météo parfaite. C’était bien beau observer la Ruée vers l’or depuis la rivière et se dire que ça semble bien grimpable. La réalité fut autre chose en ayant le nez collé dessus car au fur et à mesure que le soleil se levait, nos chances de réussite diminuaient. Imaginez le sentiment lorsqu’on voyait le top de la voie et les immenses daggers percer la brume matinale, carrément au-dessus de nos têtes, près de 250 mètres plus haut. C’était tout simplement indescriptible et à glacer le sang. À côté de la Ruée, la Pomme d’Or « is a walk in the park » et le Mulot filait plus sécuritaire.
Malgré ce que je venais de voir, je suis tout de même parti en tête dans la première vraie longueur de la Ruée. Rendu au pied du crux, c’est avec déception que je constate que la colonne qu’on croyait bien grosse et solide n’était en fait qu’un amoncellement de dagger secs et fragiles. Un de ces daggers touchait le piédestal, mais la solidité n’inspirait pas confiance.
Après avoir fait monter JP et Pierre pour examiner cette structure ensemble, nous avons constaté que le risque n’en valait pas la peine, même si c’est la voie la plus incroyable de l’est du continent. C’est avec un mélange de tristesse et de frustration que nous avons décidé que ce n’était pas aujourd’hui qu’on allait se rendre là où on espérait. De ne pas réussir la voie m’importait peu, j’étais surtout déçu de ne pas m’être rendu dans le dièdre principal d’où j’aurais pu mieux saisir l’ampleur de la difficulté des longueurs supérieures.
C’est une bonne chose de vouloir repousser les limites à condition de savoir accepter et assumer l’échec puis encore plus important, de rester prudent. Bref, voici une petite tranche de vie que je voulais partager avec vous en ce petit matin tristounet!
La Ruée vers l’Or est une voie spectaculaire qui se trouve à droite de la Pomme d’Or dans le parc national des Hautes-Gorges-de-la-rivière-Malbaie. Elle a été ouverte en 2001 et fut peu répétée depuis. Pour bien des grimpeurs, elle représente un trophée fort convoité mais bien souvent inaccessible. C’est le genre de voie difficile dont chaque longueur offre un défi unique. En fait, on ne se contente pas seulement d’attribuer un chiffre à chaque longueur, on leur donne plutôt un nom comme le pitch de la chandelle, le dièdre, la tour de glace, le gully écossais, la dalle écossaise, etc.
Cet hiver, la Ruée était dans une forme plus qu’exceptionnelle et je savais qu’il fallait l’essayer cette année ou tout simplement jamais. Après la tentative du 23 janvier, je ne savais pas trop si j’avais encore une chance de la réussir, mais l’espoir était revenu fragile puisque mon ami Maarten, qui est un solide grimpeur des Rocheuses, était de passage dans notre merveilleuse province pour sa visite annuelle.
Après s’être fait botter les fesses sur la Côte-Nord, pour cause de mauvaises conditions de glace, le même Jean-Philippe de la première tentative, Maarten et moi décidons de donner un second essai dans la Ruée vers l’Or durant la première semaine de février. Essai qui s’avérera infructueux pour diverses raisons tels que le froid, des pieds gelés bien durs et une chandelle plus épeurante que dans mes souvenirs.
Après cette deuxième tentative, j’en avais plus qu’assez de cette voie et décida qu’il était temps de passer à autre chose. Chose que j’ai bien fait jusqu’à ce que Jean-François Girard me rappelle qu’il est encore temps de l’essayer à la suite du succès connu par deux grimpeurs solides de l’Ontario. Par ce succès, j’étais ébahi pour deux raisons : comment diable ont-ils grimpé la colonne et comment pouvait-elle être encore in malgré notre hiver doux et si tard dans la saison?!
Du coup, j’étais stupéfait et embêté à la perspective de retourner affronter ce monstre puisqu’il me semble que j’avais passé à autre chose. C’est maintenant ou jamais que Jeff me dit. À ce moment, j’accepte sans trop réfléchir ni penser à cette foutue colonne. Entre-temps, l’ascension de la Ruée vers l’Or par Nathalie Fortin et compagnie n’a fait que cimenter ma décision d’en finir une fois pour toute avec cette voie. Mon hiver ne s’étant pas déroulé comme je le souhaitais, j’avais enfin une dernière chance de lui botter le cul pour de bon!
C’est alors le 28 mars que je me retrouve pour une troisième fois à faire l’approche dans le pierrier de l’Équerre. Quand la voie sortit de la noirceur, je n’ai pas pu m’empêcher de faire une déglutition nerveux. La météo était parfaite et chaude, quoiqu’il neigeait à plein ciel, mais bon, on ne peut pas tout avoir à notre goût.
Nous commençons à grimper vers 7h30 du matin et après avoir grimpé la première longueur commune avec la Pomme d’Or ainsi que la pente de neige, nous sommes déjà au pied des difficultés. La première vraie longueur de la Ruée fut selon moi le crux psychologique, cette fameuse colonne que Jeff semble avoir survolée en un pitch de malade bien étiré! La chandelle était impossible à protéger, alors c’était le run-out le plus sévère que j’aie vu. Ce Jeff avait un sacré contrôle de son mental!
Par la suite, puisqu’il y avait une belle longueur agréable dans le dièdre, celle-ci nous a permis de se reposer les bras. Cette section, avec une finale plus relevé, nous a mené au pied de la longueur-crux de la Ruée.
Cette longueur effrayante tombait pile dans les cordes à Jeff : une tour de glace déversante avec une section en mixte au-dessus, qui se terminait par la dalle écossaise. Avant cette longueur, Jeff que je connais depuis plusieurs années, avait déjà tout mon respect. Après cette longueur, je lui aurais embrassé les doigts comme si c’était le Pape (chose que je me suis retenu de faire bien sûr)! C’était complètement fou et ça lui aura pris près de 2 heures de bataille! Un vrai guerrier ce grand blond maniaque de la scie à chaîne!
Quand la cordée au complet s’est rendue au-dessus de la dalle écossaise, je n’en revenais tout simplement pas que les difficultés de la Ruée soient derrière nous. Il ne restait qu’une belle longueur en glace raide, et malgré la fatigue générale du groupe, Carl s’est porté volontaire pour y aller en tête. Merci mon pot!
Je tolère très bien le vertige, comme tout grimpeur, mais quand il fut mon tour de grimper les derniers 30 mètres, j’ai regardé vers le bas et subitement, mes mains ont serré très fort mes piolets. À ce moment, mon cœur s’est mis à battre lourdement dans ma poitrine. De voir le gouffre de 250 mètres sous mes pieds avec la brume qui le tapissait fut une vision que je n’oublierai jamais. De regarder Jeff grimper à son tour, depuis le haut, me donnait l’impression qu’il sortait de la gueule du monstre!
L’arrivée au sommet fut un moment de grands sourires et d’accolades, mais il fallait déjà penser à redescendre. Alors les rappels se sont déroulés rapidement et sans histoire, sauf un qui m’a particulièrement marqué…Tu sais, quand tu descends en rappel dans la brume pendant 60 mètres totalement dans le vide et très loin de la paroi, ça a de quoi te faire serrer les fesses! Et l’arrivée au sol, près de 12 heures après avoir commencé la grimpe, fut un grand soulagement puis atteindre la rivière fut un double soulagement, loin des dangers de la montagne!
Pour finir ma saison de glace, je ne pouvais rien demander de mieux. Et finalement, il faut parfois échouer pour réussir! En passant, chapeau aux ouvreurs Mathieu Péloquin et Jean-François Morin pour leur audace et leur vision. Aussi, un immense merci à Jeff et Carl pour la journée mémorable. Ce fût mon plus beau cadeau de fête à vie. (Je sais, je sais! J’étais trois jours en avance!)
Vidéo tournée par Jean-François Girard
Woooâââw! Bravo les gars! Un des meilleurs vidéos de glace que j’ai vus depuis longtemps! Vous avez vraiment des couilles en kryptonite!
Bravo les boys.
Pour avoir fait deux essais infructueux cet hiver avec mes bons amis Charles, Pierre et Maarten, votre réussite me touche spécialement. L’ambiance de cette voie ne se compare avec absolument rien dont j’ai eu la chance de grimper dans le passé. Je suis fier que des gars de la place aient pu compléter la voie. Un bravo particulier à Jean-François pour un niveau d’engagement exceptionnel dans la colonne et la tour. Pour ma part, un des points positifs est que je peux toujours y rêver…:)
WOW! Hot les boys!!!!
le refuge qu’on voit dans le vidéo c’est où? (tsé le lieu où Carl s’étire la laine!) Je pensais qu’il y avait pas de refuge ouvert dans les Hautes Gorges en hiver.
il y a le chalet « le geai bleu » (avec propane) et le refuge « le prophête » de la traversée de charlevoix (https://www.traverseedecharlevoix.qc.ca/cartographie). Mais c’est quand même un peu passé le cran des érables, pas si proche de l’équerre que ca. Ca vaut la peine pour sauver le transport du stock de camping au prix d’une approche plus longue le matin de la grimpe.
Simon