Par Sergio Pavone
À moins d’avoir été en expédition sur la face cachée de la lune depuis quelques semaines, vous avez surement entendu parler du nombre élevé d’alpinistes qui ont perdu la vie sur l’Everest au mois de mai 2019. Certains, pour ne pas dire beaucoup de personnes, ont automatiquement tourné leur regard « accusateur » dans la direction des compagnies et les guides d’aventure. Sont-ils à blâmer ? Que dire des choix que prennent les clients ? Où repose la responsabilité de la sécurité en montagne ?
Les compagnies d’aventure
J’ai fait appel à des compagnies d’Amérique (Nord et Sud), d’Europe et d’Asie, je peux vous confirmer que la plupart requièrent un curriculum vitae de leurs clients. Dans mes quêtes pour trouver le fournisseur de service idéal, j’ai toujours cherché à connaitre la philosophie de l’entreprise. Évidemment, tous, à l’exception de très rares entreprises, font d’abord la promotion des prix, laissant la sécurité au rang des choses implicites. Les entreprises proposent des formations et des révisions des manoeuvres de montagne ainsi que des instructions concernant la manipulation des équipements comme les radios, les réchauds et les instruments d’oxygène. Les formations et les révisions sont généralement offertes durant l’expédition ce qui signifie que vous êtes déjà engagés financièrement et vous êtes déjà arrivé à la montagne de votre choix.
Les entreprises sont à but lucratif. Elles offrent l’opportunité à des individus de réaliser leurs rêves. Évidemment, les entreprises affirment que la sécurité des grimpeurs est au coeur de leurs préoccupations. Il est manifestement acceptable et rentable, voire même indispensable, de s’assurer de la sécurité des clients. Cependant, les entreprises ont la propension à se doter de stratégies pour accroître leur capacité d’encadrer le client plutôt que d’exclure ce dernier s’il présente des incompétences marquées. Malgré le fait que certaines compagnies affirment que l’alpinisme est très dangereux et qu’ils décrivent de façon explicite les souffrances et les exigences physiques et psychologiques que peuvent vivre les membres d’une expédition, cela ne semble pas détourner les grimpeurs de moindre expérience.
Les entreprises d’aventure s’adaptent selon les niveaux des personnes et permettent aux clients d’aller aux limites de leurs capacités. Le travail du guide n’est pas de vous mener au sommet à tout prix, mais de vous permettre d’aller au bout de vous-même. Il faut souligner qu’un des arguments de vente des entreprises d’aventure est souvent le taux de réussites sommitales. Les guides savent très bien qu’un grimpeur en détresse représente un danger pour la cordée ainsi que pour le guide lui-même. Outre l’évidence des connaissances générales liées à la tâche de guide, un bon guide doit aussi savoir « lire » son client et partenaire de cordée. Généralement, les entreprises d’aventure et leurs employés cherchent à satisfaire les désirs de leurs clients en essayant, le plus possible, d’éviter les tragédies autant pour les raisons morales que pour les raisons d’affaires. En fait, la plupart des organisations lucratives se donnent le droit d’obliger l’arrêt de la progression d’un client si cela est déterminé être nécessaire. Cela dit, les entreprises n’appliquent pas toujours les mêmes normes en ce qui concerne les décisions liées à la sécurité et cela peut dans certaines circonstances causer des complications.
Il y a différent type d’aventuriers et d’aventurières et il y a des entreprises qui peuvent satisfaire plusieurs types d’attentes. Choisir de recourir ou pas aux services professionnels relève de plusieurs facteurs qui varient selon le niveau d’expérience et la qualité des connaissances que possède chaque personne qui souhaite se lancer à la quête de sensations et de grands espaces. Habituellement, les alpinistes et les débutants alpinistes ont confiance en eux-mêmes. Cet état d’esprit représente un avantage psychologique dans le cas où elle est accompagnée d’une bonne dose d’humilité et de réalisme. Pour ceux et celles qui se procurent les services d’une entreprise d’expédition, le choix ne peut être fait sans bien analyser l’objectif (la montagne de choix), l’entreprise (ses services et son expérience) et les capacités physiques, techniques et psychologiques personnelles.
Nous connaissons trop bien les exemples de clients qui ne savent même pas installer leurs crampons une fois arrivés au camp de base de l’Everest. Ce type de clients (on ne peut pas les appeler grimpeurs) est une des plus grandes nuisances sur les montagnes aujourd’hui.
Comment un client peut-il se rendre au camp de base d’Everest sans savoir mettre ses propres crampons ?
Beaucoup de compagnies demandent aux clients quelles montagnes ils ont gravi. Les clients répondent, mais ne disent pas dans quel contexte ils ont gravi ces montagnes. L’on peut gravir beaucoup de montagnes avec des services 5 étoiles. Je me souviens d’avoir été témoin de clients qui ne transportaient que leur petit sac à dos avec de l’eau et un peu de nourriture alors que derrière eux suivaient les porteurs. On les voyait se faire servir le petit déjeuner sans même sortir de leur sac de couchage. Voilà comment l’on peut tromper les perceptions. Oui, le client a gravi telle ou telle montagne de 6000m ou 7000m, mais sans jamais avoir fait le moindre geste d’autonomie. Il est donc possible de se construire un curriculum de montagne très impressionnant, mais très peu pratique.
L’autonomie en montagne n’est pas juste une question technique, c’est aussi une question psychologique. L’on remarque facilement le client qui attend les directives, il a une attitude dépendante et s’aventure avec une forte propension à hésiter, douter et traîner lorsqu’il vient le temps de bouger, d’avancer et d’agir. Ce type de client peut causer des catastrophes pour lui-même et pour les autres. Un bon ami m’a fait remarquer qu’en montagne comme dans les sports en général, il y a trois facteurs prépondérants ; la capacité physique, les connaissances techniques et la force psychologique. Un équilibre des trois est nécessaire pour se donner les meilleures chances de survie en montagne. Non, le guide ne fait pas partie des facteurs.
Je vous propose une séquence de questions qui pourraient vous servir à prendre de bonnes décisions pour votre prochaine expédition :
1- Êtes-vous techniquement (manoeuvres, orientation, logistique, avalanches, météo, etc.) habilité à entreprendre l’expédition ? Il est naïf de croire qu’une compagnie peut pallier à l’incompétence technique d’un client. Qu’arrive-t-il à un client si le guide se blesse ou meurt en montagne ? Un client doit pouvoir être autonome.
2- Avez-vous la forme physique pour entreprendre cette expédition ? Un porteur peut vous éviter beaucoup d’efforts physiques, mais il ne peut vous transporter sur ses épaules jusqu’au sommet.
3- Avez-vous franchi les épreuves psychologiques pour « encaisser » le poids d’une expédition ? Lorsque la météo vous emprisonne à un camp élevé, que vous êtes épuisé et que vous y êtes coincés durant plusieurs jours, votre état d’esprit est mis à rude épreuve. La promiscuité, la constante présence des autres et l’isolement du reste du monde peuvent vraiment peser sur l’état psychologique d’une personne. Aucune compagnie ne peut pallier à cette réalité et il est du ressort de chaque individu de bien évaluer leurs capacités psychologiques, techniques et physiques. Porter une ceinture de sécurité ne fait pas de vous un pilote de formule 1. Utiliser les services de guides ne fait pas de vous un alpiniste autonome, vous êtes la seule personne qui peut apprendre à le devenir.
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