Nipissis : l’ultime Club Med de la glace sauvage

Par Pierre-Alexandre Paquet

Le mois de janvier n’était pas encore très avancé, et ma saison de glace non plus d’ailleurs, quand je suis tombé sur l’annonce de Gatienne et Martin, un couple de grimpeurs qui cherchait à se jumeler avec une autre cordée pour tâter du glaçon à Nipissis. Une occasion rêvée de partager une tente prospecteur dans un lieu dont les proportions étaient devenues quasi-mythologiques depuis les passages répétés ces dernières années d’une bande de radicaux du piolet qui se reconnaîtra bien, ainsi que les mises à jour subséquentes du topo. Le défilé de voies difficiles m’intimidait, mais la curiosité pesait plus lourd dans la balance ! Trouver un partner de cordée pour passer la relâche au froid, en zone éloignée, s’est révélé être assez ardu. Audrey, l’élue de mon coeur, a hésité jusqu’à la dernière minute. Un ami, Pierre, à qui le redoux avait inspiré des rêves nordiques, s’est finalement manifesté lui aussi. Avec ces deux là, je savais que j’allais avoir l’honneur de leader un maximum de pitches. Allais-je m’en plaindre ?

Le camp le cliff | Photo: Pierre Duquesne

Au final, nous étions cinq à partir – mais à des dates différentes – rejoindre le train de la compagnie Tshiuetin à Sept-Îles; deux en mini-van avec la tente prospecteur (l’équipe des éclaireurs) et trois en Corolla (se faisant petits petits).

Peu convaincus que cinq jours allaient suffire pour la grimpe à Nipissis, Gatienne et Martin étaient en effet partis quatre jours avant nous ! De mon côté, incertain des conditions de glace, j’avais crû bon doubler les réserves de Chemineau – boisson qui descend bien le long d’une track de chemin de fer.

À Sept-Îles, au moins, y manquait pas de frète ! Pierre, Audrey et moi-même étions heureux de dormir dans un hôtel/motel pas cher pantoute, ptit-déj inclus (pour maxer nos réserves de bacon). Nous avons eu une pensée pour Martin et Gatienne qui, dans le bois, devaient sans doute sucer leurs bouttes de doigts et d’orteils gelés (un succédané de bacon ?). Les prévisions annonçaient tout de même des températures à la hausse. Une chance ! Il devait faire -25 pis y ventait à donner des « straight shafts » à mes Nomics !

Le chercheur le filon la pepite etc | Photo: Pierre Duquesne

Au matin, la ride de train – sous un soleil radieux – nous a permis d’entrevoir plusieurs lignes le long de la Moisie, que Charles Roberge et compagnie projetaient de grimper cette année, mais qui n’étaient pas au rendez-vous en février, malheureusement. Charles, beau bonhomme, m’amènerais-tu en 2018 ?

Débarqués au mile 51, nous avons fait les allers-retours nécessaires pour acheminer notre stock au camp situé en amont sur la rivière. Nous avons croisé Gatienne et Martin sur les rails; il devait être 11h00 et ces deux survivants du gel s’enlignaient sur Le Filon (150m, 5). C’est qu’ils aiment les départs tardifs et les rappels à la frontale ces deux-là !

Martin et Gatienne suivent le filon | Photo: Pierre Duquesne

Deux bonnes heures après le départ de Gatienne et Martin, c’était à notre tour d’arriver à la paroi. Premier stop : Le Chercheur d’or ! J’étais fébrile ! La chandelle était bien formée, immense. Le pilier au-dessus ne semblait offrir que peu de repos. La scène était exactement comme Charles me l’avait décrite : « Au pied du Chercheur, tu peux voir les arbres tout en haut. Cette ligne est parfaitement verticale. Cherches pas de repos, y’en a pas ! » Bref, le nom de la voie, ce n’était pas Le Chercheur de Repos. Ma-gni-fi-que.

Le chercheur d’or | Photo: Pierre Duquesne

Tout s’est rapidement mis à aller très mal pour moi. Les méduses du départ étaient encore très cassantes en dépit du fait que le froid de la nuit s’était dissipé et que le soleil me grillait le Gore-Tex ! Je serrais mes piolets – trop. L’angoisse. Après avoir tourné un coin pour me retrouver sous le pilier, je me suis pris une douche. Le débit gagnait en intensité à vue d’oeil. L’eau m’entrait par les manches ! J’étais aussi trempé que se peut. Le plus rapidement que possible, j’ai inséré une vis et je suis redescendu dessus, l’abandonnant derrière. Mon essai dans le Chercheur n’aura pas dépassé la barre des 20 mètres. Honte à moi.

Avant la douche | Photo: Pierre Duquesne

Insatisfaits, bien entendu, nous avons effectué un repli stratégique dans La Variante du Néerlandais (salut, Maarten !), une sympathique coulée en 4 s’accrochant à une enfilade de dièdres rocheux qui sont très esthétiques. Martin et Gatienne l’avaient grimpée deux jours auparavant, nous savions donc que nous pourrions bénéficier de leurs abalakovs ! Comme l’astre du jour transformait ce long flot doré en caramel fondant, nous pouvions conserver une cadence rapide et bouger en toute confiance. Par la magie d’une cordée volante, nous sommes vite parvenus aux premiers arbres, terminus après 200m de glace, soit deux longues-longues-longues longueurs. D’ailleurs, c’est Audrey qui a fait les derniers 100m – donnant à l’auteur de ces lignes son seul repos de lead du voyage – considérant que de son côté Martin n’a eu aucun break et que son séjour a été plus long, pour moi c’était déjà beaucoup !

La variante du neerlandais | Photo: Pierre Duquesne

Au Jour 2, nous avons emboîté le pas (et les lunules!) à Gatienne et Martin une seconde fois, notre trio optant pour Le Filon. Nous sommes opportunistes, que voulez-vous ! Au passage, nous avons reluqué une fois de plus Le Chercheur de nos yeux gourmands. Mais nous jugions que le soleil tapait encore trop fort pour envisager une ascension de la colonne-douche. Le Filon n’était pas une mauvaise alternative anyway ! Après une longueur délirante comportant du vertical, du vertical et encore du vertical – traverse dans une barquette de champignons glacés en prime – j’ai su de quel bois Martin se chauffait ! Solide ! Au point le plus précaire de la grimpe, j’ai repéré un trou de vis – la vis à Martin, qui d’autre !? – et l’ai essayé à mon tour. Du vide, du vide, de l’air, rien, niet, zip. Une vis qui tournait de tous bords, tous côtés. Pour moi, ce n’était pas la meilleure que Martin avait placée ! Pas de vis pour moi, donc. Pas si difficile physiquement, Le Filon est parfois limite au niveau de la protection. Au premier relais, par contre, tout était béton – du moins, jusqu’à ce que le soleil s’en mêle.

Le filon | Photo: Audrey Julien

Les longues vis du relais ont tenu (sans trop de surprise), mais mes seconds ont pu observer que mes 13cm avaient fait fondre leur prison de glace pendant que je grimpais la 2e longueur. Ces vis plus courtes sortaient rien-qu’en tirant dessus, sans mouliner ! Une chance que la 2e longueur du Filon était beaucoup plus modérée que la première. C’était d’ailleurs notre quatrième longueur à Nipissis. Ces longueurs faisaient, en moyenne, plus de 70m chacune ! La dernière longueur du Filon, longue de 15m seulement, est heureusement venue rectifier ces statistiques épeurantes !

Jour 3 : Déjà au stade des préparations du voyage, nous avions convenu que de faire une “voie facile” ne serait sans doute pas de refus après quelques jours à faire notre shift sur le Mur du 51. En étudiant le topo, notre choix s’était arrêté sur Une pas pire épopée, voie de 150m située 2 miles plus au nord (vis-à-vis le mile 53 sur la track de chemin de fer). La voie, aussi large que haute, offre plusieurs itinéraires variés.

Ce jour là, Pierre a préféré rester au camp pour se reposer pour de vrai, tandis qu’une rivière bien gelée nous a permis à Audrey et moi de progresser rapidement. Ça s’est tout de même corsé en franchissant le bois, le pierrier, et la pente de neige au pied de la voie. Même avec des conditions correctes et sans passer au-travers de la glace pour prendre un bain comme les ouvreurs l’ont fait, l’approche demeurait digne du nom de la voie ! Après deux heures à suer notre vie, nous pouvions enfin “relaxer” le temps de deux pitches de 70m bien étirés dans un grade 3+ pas soutenu. Martin et Gatienne – arrivés bien plus tard que nous, à leur habitude – prenaient à notre droite une ligne un peu plus raide, en 4. Plus à droite encore, nous pouvions zieuter une grande étendue de glace plus mince et parfaitement verticale : du 5 à en faire baver… mais bon, c’était la journée de repos !

Une pas pire épopée | Photo: PA Paquet

Cette journée-là, de toute façon, il neigeait à gros flocons mouillés. Après deux longueurs, nous étions transis. C’était le temps de rentrer se chauffer à poêle et à Chemineau ! C’était du moins notre fantasme. En arrivant au camp, quelle déception! Pierre se réveillait à peine d’une « courte sieste » de 3-4 heures et le poêle était froid. Pire, notre bois tirait à sa fin et le peu qui restait brûlait fort mal. Fallait se faire à l’idée, la journée n’était pas terminée. Allons bûcher ! Au moins le feu crépitait quand Gatienne et Martin sont rentrés, la noirceur tombée depuis longtemps. (Le lendemain, ils allaient se mesurer à de pires problèmes de cheminée bouchée, comme quoi y’a toujours de quoi à faire au camp !)

Grande finale a la frontale | Photo: Pierre Duquesne

Jour 4 : Les jambes lourdes de fatigue, Pierre, Audrey et moi retournions au 51 pour notre dernière journée de grimpe à Nipissis. Était-ce le jour du Chercheur ? Bin non. En passant sous La fourchette sternale droite, mes yeux dans-graisse-de-bine se sont soudain allumés. La voie m’ayant clairement fait signe que c’était maintenant ou jamais (des sections étaient en bad shape, d’autres étaient tombées quand le soleil tapait). J’allais pas me défiler, même si elle avait l’air bien méchante sur les premiers 15 mètres qui étaient tout en choux-fleurs et comportaient un move technique bien visible. Mais le reste de la première longueur avait l’air de suivre un petit dièdre plus facile.

Je m’y suis lancé, allègre ! Première vis, une 16 cm dans ce que je croyais être un buton de glace. Krrrshhh! C’était un buton de roche finalement. 10 cm ? Krrrshhh ! Tabar… Départ engagé… Que j’étais heureux de pouvoir mettre derrière moi rapidement. Un petit humpf plus loin, le move sous les méduses surplombantes passait (une chance, avec une première vis pas pire sous les pieds). Pis c’est au-dessus de ce crux que j’ai – enfin !? – pu constater que la glace dans mon beau petit dièdre était délaminée. Pas trop, mais juste assez pour me garder sur le qui-vive jusqu’au relais à 50m du sol (où enfin la glace devenait bonne). Pis y faisait chaud : j’avais l’impression constante que mes crampons ne tenaient que de peur et de misère dans de la gadoue. Le pitch était plus engagé que je ne l’avais espéré, mais il s’est bien déroulé, au final.

Audrey dans la Fourchette | Photo: Pierre Duquesne

Néanmoins, c’est tandis que mes seconds venaient me rejoindre au relais suspendu – qui était aussi confortable qu’une chaise de fakir –, que j’ai été témoin de LA grimpe du voyage. Martin se coltaillait mano-a-mano avec Le Chercheur ! Il avait pris une ligne un tantinet plus à gauche de la chute dans laquelle je m’étais douché le premier jour. Je savais que la glace y est plus aérée. C’était tout un lead ça, mon Martin ! Haut perché, je n’en ai pas manqué un mouvement, un peu jaloux de la grosseur des… du type.

De notre côté, les longueurs restantes dans La Fourchette sternale droite étaient du bonbon. Une raide dalle jaune toute en petites boursouflures gorgées d’eau, presque visqueuses. C’était comme un rodéo sur le dos d’un crapaud ! Les piolets rentraient bien, les vis étaient bonnes. Sur le top, par contre, ça décoiffait ! Les rafales de vent étaient intenses – et les vents sont à guetter dans la vallée de la Nipissis, puisqu’ils peuvent s’engouffrer avec violence dans l’encaissement de la rivière quand il fait tempête. C’est pour ça qu’il faut camper dans les méandres les plus serrés de la rivière, ils offrent un refuge naturel. Encore tout en haut de la falaise, je me croyais dans un réacteur de jet ! Pis essayez ça, vous, de faire vos manœuvres de rappel rapidement lorsque vous tremblez de froid comme un vibrateur épileptique !

Pierre à couteaux tirés dans la Fourchette | Photo: Martin Lesieur

La dernière soirée au camp s’est passée gaiement. Il restait du Chemineau pour tout le monde, même le Captain Morgan était de la partie. Nous n’avions pas épuisé toutes nos histoires non plus, qu’il s’agisse des chutes dont nous avons été soit les victimes, soit les témoins, ou la liste des piolets sur lesquels nous avions tiré au fil des ans. (Mon point en commun avec Martin, c’est que nous sommes tous deux propriétaires de Scuds ! Il est petit, le monde des Scuds.) Nous avions grimpé tout notre saôul itoo, et ça, ça élevait le moral dans le camp. Philosophe, je me suis bien dit que de ne pas avoir gravi Le Chercheur me donnait une raison de taille pour revenir dans cet ultime Club-Med de la glace sauvage. Beaucoup de voies qui se forment quasiment tout le temps demeuraient à faire. La Promenade pour Lady Sarah (Martin, lui, l’a faite avec Gatienne), La Goulotte de M. Félix (pas formée cette année, étrangement), M. Glaçon (une ligne bien invitante !). Peut-être que la prochaine fois il faudra rester plus d’une semaine ?

Le lendemain de cette dernière soirée, le Captain Morgan était trop vidé pour nous aider à démanteler le camp – ce qui, en son absence, a pris la journée. Aux environs de 18h00, le train s’est arrêté RIEN QUE POUR NOUS pile poil devant le fameux marqueur du non moins fameux mile 51, et les membres de l’équipage Innu en son bord, contents de nous voir (je dois avouer que nous aussi, nous étions contents de les voir !) se sont montrés débonnaires de chaleur, de rires, de questions, et d’anecdotes puisées dans les annales locales. Cheers, Tony et les autres !

Je peux vous confirmer que toutes les voies du 51 sont des classiques hors normes. « L’apothéose » d’une saison par ailleurs bien fournie, comme le disait si bien l’ami Pierre en un moment de profonde inspiration. On y retourne quand !?! Maintenant, au moins, nous savons que le niveau de grimpe y est relevé, mais pas hors de portée. Go go go !

Notre arrêt bien à nous | Photo: Pierre Duquesne

14 Comments on "Nipissis : l’ultime Club Med de la glace sauvage"

  1. Super article. Combien coute la ride de train?

  2. Trop nice l’article PA! Ça se dévore du début jusqu’à la fin… et ça donne plus que le goût pour la next saison 😉

  3. 20$ par personne ! Pis ça c’est pour l’aller-retour ! 3 bagages inclus, maigre surplus pour les bagages supplémentaires (plus cher si on charge en surpoids alors mieux vaut miser sur des sacs faisant chacun 50 lbs et moins).

  4. bel article et superbes photos! Ça donne le goût d’y aller! La ride de train entre 7-îles et le mille 51 dure combien de temps? Il y a des départs tous les jours?

  5. Aux dernières nouvelles il y a deux allers-retours hebdomadaires. Vérifier les horaires sur le site de la compagnie Tshiuetin. Et me contacter car je pense bien y retourner !! Le trajet dure deux heures. Le train quitte le lundi matin de Sept Îles à 8h (soyez y pour 7h pour l’enregistrement des bagages) et il revient le mardi après 16h (il passe à la hauteur du 51 vers 18-19h en moyenne mais il est sage d’être prêt pour l’attraper dès 16h). Le train effectue son second départ en direction de Schefferville le jeudi et il revient à Sept Îles le vendredi (mêmes heures de départ et de retour que les lundi-mardi). Donc on peut aller à Nipissis soit pour moins de 48h (lundi-mardi & jeudi-vendredi), soit pour 5 jours (lundi-vendredi), soit pour 6 (jeudi-mardi), voire plus, considérant qu’on y trouve de la grimpe pour des semaines intensives 😊

    Paroi au soleil; mi-février à mi-mars ça doit être optimal, mais risqué après, alors que les journées sont courtes et froides avant !

  6. Je dis vérifier les horaires car il n’y a qu’un seul passage (aller-retour) certaines semaines.

  7. Wow, féerique la place!

  8. Pauvre point d’excalamation sur ton clavier P-A 😮 😮 Il doit être usé et pas juste un ti-peu 🙂 🙂

    Bravo pour le beau voyage et la belle grimpe les amis!

  9. Mon récit comporte deux fois plus de points plates que de points d’exclamation je pourtabt ne te vois pas t’inquiéter de cette touche là de mon clavier… c’est de la discrimination !!!

  10. *et pourtant je ne te vois pas t’inquiéter…

  11. La plume d’un future auteur. Tellement bien écrit. Félicitation.

  12. Je m’inquiète car je te connais et je connais la force avec laquelle tu frappes le point d’exclamation! Tiens, comme ça : !!!!! haha

  13. Quelle histoire improbable, couplée de photo arrangées avec photoshop depuis le Club Med d’un pays quelconque du Sud (en mangeant du bacon vegan). Sérieux, goodjob les amis. Ça sent la passion dans ce texte-là! Que de belles aventures et de « chauds » souvenirs pour le futur! J’espère que la vie vous permettra de retourner y danser!

  14. Oh que oui il faut y retourner ! Et rien-que pour Arian !!, !!!, !!!!

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