Orgie de splitters dans l’arrière-pays de Charlevoix

Jocelyn Bourque dans la première longueur du Cinq cennes (5.10a, 105 m) | Photo : Hugo Drouin

Par Hugo Drouin

J’avais cru à un mirage quand, quelques années plus tôt, je l’avais aperçue pour la première fois.

Une paroi onirique, striée de fissures verticales, inconnue des grimpeurs et n’attendant que d’être découverte. Yeah, right!

Je n’étais pourtant pas la proie d’un rêve éveillé. Niché dans un repli verdoyant de Charlevoix, bordant le sentier du mont des Morios et tranchant le versant sud-est du mont du Gros Castor, un paradis vertical attendait patiemment ses premières explorations.

En juillet 2020, entre une aventure au cap Trinité et un autre dans les monts Groulx, j’ai invité mes amis Jocelyn Bourque, Charles Bernier et Philippe Larivière et nous nous sommes dirigés vers la falaise du Gros Castor avec la ferme intention de la grimper.

L’approche de plusieurs heures en montagne fut entrecoupée par un bivouac sous les étoiles et un court, mais épineux, passage hors sentier. Le lendemain, c’est avec l’enthousiasme d’enfants libérés dans un magasin de bonbons que nous enfilions nos harnais au pied du rocher. Charles et Jocelyn choisirent un pilier sur la droite de la paroi, pendant que Philippe et moi options pour l’audacieuse directissime : un étagement remarquable de trois dièdres qui avait attiré mon attention lors de ma reconnaissance cinq ans plus tôt.

La falaise du mont du Gros Castor, nichée dans un repli verdoyant de Charlevoix | Photo : Hugo Drouin

Je me suis rapidement défait d’une première longueur et je me suis ancré au pied du premier coin. Les formes et l’ambiance de la falaise me rappelaient celles du Gros Bras et du Dôme. Je savourais le moment, les poumons gonflés d’air pur et le coeur rempli de possibilités. Philippe m’a rejoint et m’a assuré patiemment dans la deuxième longueur. Celle-ci se révélera plus complexe qu’anticipé. Le crux, un offwidth terreux et improtégeable, résistera malheureusement à mes assauts en libre et à mes ruses en artificiel. Après un long et honnête effort, je me résoudrai à abandonner deux coinceurs pour regagner le sol. Bienvenue dans l’arrière-pays les gars!

Tandis que nous vraquions nos cordes, le sous-bois résonne de l’écho de voix familières. Charles et Jocelyn émergent d’un rideau d’épinettes et nous racontent leurs péripéties :

On s’est rendu en haut! Pis devinez quoi, y avait des randonneuses célibataires su’l top!

– Haha! Très drôle. Tu niaises?
– Non, c’est vrai! répond Jocelyn avec son accent jovial du Nouveau-Brunswick.
– Il y en a même une qui m’est tombée dans les bras quand j’suis sorti du bush ! ajoute Charles pince-sans-rire.
– On aurait dû leur demander leurs numéros de téléphone!
– Haha! Vous êtes de vrais héros! Et la grimpe… c’était beau?
– Vraiment! C’est la première fois que Charles et moi grimpons ensemble et on vient de se taper un first ascent ! Un bon 150 mètres de 5.9 un peu runout. J’pense qu’on va l’appeler Papa Castor!

Mon premier séjour au mont du Gros Castor était déjà terminé et il était évident que je devais y retourner. Et pour ce faire, je devais trouver une approche plus simple. Les cartes du secteur laissaient entrevoir un itinéraire alternatif susceptible de réduire le temps d’approche de quelques heures, mais qui impliquait un long passage hors sentier. L’inconnu nous attendait à nouveau à bras grands ouverts!

Les grimpeurs du mont du Gros Castor. De gauche à droite : Charles Bernier, Jocelyn Bourque, Philippe Larivière et Hugo Drouin | Photo : Charles Bernier

Un vendredi soir, quelques semaines plus tard. Sacs d’escalade aux dos, Jocelyn et moi sommes en route. Pendant que d’autres relaxent devant des émissions en rattrapage de Deux hommes en or, nous avançons à tâtons dans un bois dense et une obscurité quasi totale. Nos pieds butent soudain sur des souches pointues camouflées dans l’herbe longue. Flashbacks d’entraînement militaire. Alerté par notre présence, un animal saute lourdement à l’eau. Pas de doute! Nous sommes chez le castor, donc à destination!

Samedi matin. Dans l’ancien brûlis à la base de la paroi, Jocelyn et moi rencontrons des traces d’orignaux et d’ours noir et… un magnifique spécimen d’amanite tue-mouches. La journée s’annonce magique. Dans une lumière d’oasis, je déroule les cordes sur une dalle bonbon du secteur de gauche. Après avoir installé un relais près d’une grosse tache de silice, je suis rejoint par Jocelyn qui prend la suite : un toit et une fissure à main plus raide. Cette deuxième longueur est flanquée de deux autres zones laiteuses. Visiblement, notre nouvelle trouvaille, Les trois taches blanches (5.8, 105m), est la cousine éloignée et méconnue de la classique du Dôme!

Du haut de la paroi, le lac du Gros Castor nous renvoie un ciel sans nuage. Dans l’herbe sauvage, une brise d’été berce nos tentes, semblables aux voiles bigarrées d’un bateau d’explorateurs.

La journée encore jeune et prometteuse, nous tentons une ligne voisine. Après soixante mètres de navigation sur une dalle plaisamment texturée, je suis rejoint par Jocelyn qui récupère une poignée de coinceurs et fonce sur le dévers au-dessus de nos têtes. Je le surveille, cramponné au surplomb, cherchant une prise au-dessus de la lèvre du toit. Les cames à son harnais pendent à la verticale. Tension. Crochet de talon. Mantel … Il l’a! Ça prenait du guts! Sur son élan victorieux, Jocelyn déroule ses soixante-dix mètres jusqu’aux arbres du haut de la falaise. Je le rejoins. High fives ! Nos visages affichent des sourires d’aventuriers comblés et des yeux lance-étincelles. Le cinq cennes (5.10a, 105m) vient de voir le jour!

En rappel, Jocelyn et moi sommes éblouis par le potentiel stellaire du secteur. La falaise entière offre sans doute une centaine de multi-longueurs! « Wow! As-tu vu le hand crack parfait là! » «Check la dalle trouée ici! » « Ce serait drôle de l’appeler La VRAIE granuleuse! Ça forcerait les gens à marcher jusqu’ici! »

Sur le long chemin du retour, nous dressons le bilan de notre récolte : trois cents mètres d’escalade inédite sur du terrain propre, prêt-à-grimper, sans recours à la brosse métallique ni au tamponnoir :

– C’était incroyable!
– Tellement! Penses-tu que ce site va devenir trop populaire et qu’il va perdre sa magie? Tsé, ce serait dommage de revenir ici dans cinq ans pis de tomber sur des ronds de feu pis des rubans oranges…
– Des traces? Loin du char de même? Pas certain!
– C’est bin vrai! On dit que les grimpeurs sont bien éduqués… et qu’ils n’aiment pas trop marcher.

Escalade au mont du Gros Castor: www.facebook.com/groups/3122145821173566

Les trois taches blanches (5.8, 105m) et Le cinq cennes (5.10a, 105m), sises dans un buffet de fissures verticales | Photo : Hugo Drouin

A. Les trois taches blanches B. La boîte à pain (avec Charles St-Louis) C. Le cinq cennes. D et E. Sans nom. Avec Charles St-Louis. F. Arrière-pays direct. G. Papa Castor. Topo : Hugo Drouin

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