Paradoxe de la course aux exploits

Qui sera le premier? Est-ce important d'inventer toutes sortes de catégories? | Photo: Ian Bergeron

Par Ian Bergeron

Régulièrement, le présent site rapporte les exploits du Québec et des quatre coins du globe. Premières ascensions, premiers Québécois(es) à franchir un sommet… bref être le premier est devenu une quête importante dans notre sport si l’on veut se faire un nom.

Il y a quelques jours, je rapportais le record de vitesse sur le Nose et le lendemain, la mort de deux grimpeurs sur El Cap. Bien que cette tragédie soit indépendante de l’exploit d’Honnold et Caldwell, (l’est-elle réellement ?), nous savons que les deux victimes tentaient El Cap en une journée lorsqu’elles ont fait leur funeste chute. El Cap en une journée, bien que ce ne soit pas une première, ça demeure quelque chose de peu banal. Les deux grimpeurs ont-ils, de près ou de loin, été influencés par cette quête au record ?

Le monde de l’alpinisme est, selon moi, la discipline où cette quête aux premières est la plus marquée. Je me questionne ouvertement d’où vient ce besoin de passer à l’histoire en étant le premier à atteindre un sommet, le premier d’un pays, d’une province, d’une ville, d’une rue! Mais cette réalité est bien là. Cette poursuite soulève plusieurs interrogations. Par exemple, être le premier à atteindre un sommet mais mourir lors de la descente, est-ce vraiment une réalisation ? Comme l’a dit Ed Viesturs : Le sommet n’est que la moitié du chemin.

Le plaisir et la satisfaction sont-ils influencés par le fait d’être premier? | Photo: Ian Bergeron

Je réfléchis à voix haute ici, comment pouvons-nous reconnaitre un sommet comme une réussite si la personne ne revient pas par ses propres moyens, ou ne revient pas du tout ? Devons-nous reconnaitre l’exploit ? Mourir au retour emporté par une avalanche a-t-il plus de valeur que si nous sommes sauvés par un groupe de recherche et sauvetage ?

Ces questionnements ont été soulevés après avoir lu des commentaires sur les réseaux sociaux suite au reportage de Radio-Canada sur Monique Richard au Mont Logan. Celle-ci, après avoir atteint le sommet en solitaire, a reçu l’aide de deux autres grimpeurs au retour et a ultimement été secourue par hélicoptère. Certains contestaient la pertinence de clamer un sommet solo alors que Madame Richard n’a pu revenir par ses propres moyens. Mais en quoi est-ce que cette situation est différente de celle de grimpeurs ayant atteint le sommet d’une montagne et qui en sont morts au retour, soit par négligence ou act-of-God (genre avalanche) ?

Je ne prétends pas détenir la vérité absolue, mais je me questionne sur la pertinence de rapporter les premières comme des nouvelles. L’esprit de l’alpinisme, et de la grimpe en général, n’est-il pas de vivre des expériences enrichissantes en montagne ? Si tel est le cas, une personne qui grimpe La Granuleuse pour la première fois et qui aperçoit la splendeur des Grands-Jardins peut vivre une expérience plus enrichissante que quelqu’un qui atteint le sommet de l’Everest en se faisant « wincher » par deux Sherpas. En même temps, les premières nous font rêver et nous donnent, par la lecture de récits d’aventures, le gout d’aller en montagne.

Vous le voyez, je n’ai pas de réponse à vous proposer sinon que ma vision personnelle a changé avec le temps. Probablement par ce que je vieillis, les premières ne me font plus rêver et génèrent aucun sentiment sinon un peu d’étonnement. Chaque journée vécue en montagne est quelque chose que je savoure. Qu’elle soit passée à grimper, skier ou en randonnée avec les enfants, j’en retire une satisfaction incontestable. Pour moi, être dans les montagnes est apaisant et ressourçant, que ce soit dans Charlevoix, en Amérique du Sud ou en Inde. J’ose espérer que c’est la même chose pour la majorité d’entre vous.

Pent-on apprécier une grimpe juste pour le plaisir? | Photo: Ian Bergeron

2 Comments on "Paradoxe de la course aux exploits"

  1. Meilleur post Ian!

    Yes, je pense que les 2 points de vue sont valables.

    D’un côté, les premières et les exploits sont là pour inspirer, montrer que les barrières peuvent être franchies, motiver.

    De l’autre, si tout devait être fait dans l’optique de battre un record, pas mal de monde devrait raccrocher leurs patins, moi le premier. On est loin d’avoir le talent de Sharma, la force d’Ondra et l’endurance de Caldwell. Mais je pense que ce qui m’allume c’est le goût de l’aventure, l’inconnu et l’envie de me dépasser, m’améliorer dans un milieu que j’aime – dehors. Et la motivation est proportionnelle à l’inclinaison mettons ;P

    Les gars qui sont morts sur El Cap, ils espéraient sûrement pas battre un record avec les 2 malades d’Honnold et Caldwell qui volaient juste à côté… J’imagine qu’ils étaient crinqués de se défoncer sur la paroi.

    J’imagine que Monique devait avoir un certain fun, jusqu’à temps qu’à se crache le corps. Est-ce qu’elle a poussé plus, à s’en tuer, parce qu’elle allait être la première…? J’espère que non… J’espère que c’est un manque de jugement, une erreur de parcours.

    Au final, tout le monde est là pour avoir du fun, à sa manière. Quand le fun n’est plus dans l’équation, je pense qu’il est temps de remettre tes choix de vie en question! ;P

  2. Je me rappelle d’une conversation avec Pat Beaudet sur ce sujet, moi lui faisant remarquer que son nom était dans la moitié des pages du guide de Steph Lapierre. Peu importe sa grandeur ou son talent, l’humain a besoin de répondre à la question: a quoi aura min court passage sur Terre. Pour certain, la réponse est dans la religion, pour d’autres la famille suffit. Pour d’autres le besoin de laisser sa trace dans l’histoire est plus important. Et l’admiration que nous vouons au pioniers de n’importe quel domaine leur donne raison. Certains le font en se defonçant au boulot et en essayant de changer le monde, pour d’autres c’est la chasses aux records en escalade ou dans n’importe quel autre sport. On pourrait penser que l’ego a beaucoup à faire là-dedans. Peut-être un peu. Mais c’est pas juste ça. Il y aussi ce besoin de ne pas vouloir faire partie du troupeau de moutons dociles qui regardent le show au lieu d’en faire partie.

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