En 2016, ça fera 10 ans que je suis allé au K2 et 8 ans que j’en suis revenu. Non pas que je sois demeuré au Pakistan 2 ans, mais plutôt que ça m’a pris 2 ans pour en revenir psychologiquement. Réflexion sur une expédition avortée.
Par Ian Bergeron
En 2005, je me suis joint à l’expédition québécoise au K2 montée par Mario Dutil et Maxime Jean. Étant allé au camp de base du K2 l’année précédente, je rêvais d’y retourner et de fouler la montagne. J’ai donc contacté les deux alpinistes et offert mes services de photographe, caméraman et de « guide touristique ». Certains aléas du parcours, et des us et coutumes, m’étaient familiers alors je me suis dit que le duo pourrait en profiter.
Notre première rencontre au Restaurant St-Hubert avait été cordiale et sans détour. Cette expédition était la leur et si je voulais m’y joindre, je devais me plier à leurs règles. J’avais également établi mes aspirations : retourner simplement au camp de base ne m’intéressait pas. Je voulais grimper sur le K2. Nous en sommes venus à un accord et, le printemps suivant (2006), nous étions dans un avion pour Islamabad.
En cours de route, j’ai fait la connaissance d’un jeune homme qui deviendra plus tard un ami cher, Olivier Maynard. Sur place, deux Français se sont joints à nous : Antoine Girard et Hugues d’Aubarede. Ce dernier perdra la vie en 2008 dans la tragédie qui coûtera la vie à 11 grimpeurs. Finalement, 3 Népalais avaient été appelés en renfort pour Mario et Maxime: Lakpa Nurbu Sherpa, Chumba Nurbu Sherpa et finalement Tshering Ngima Sherpa. Les deux premiers servaient de porteurs/guides et le dernier de gestionnaire du base-camp.
Compagnons de route
Après quelques jours dans la capitale, nous avons pris la route pour Skardu, point de départ de la majorité des expéditions qui transitent par le glacier Baltoro. C’était ma troisième visite à Skardu et ma troisième gastro carabinée! Je ne sais pas ce que j’ai ingéré à chaque visite, mais je sais que mon corps n’a pas apprécié et qu’il a rejeté le tout violemment à chaque fois! J’ai tout de même pris le départ du long trek de 5 jours et 100 km qui mène au camp de base. Un trek ardu et pénible, mais essentiel à une bonne acclimatation.
Au fil des jours, j’ai appris à connaitre mes partenaires de montagne. Tous avaient une personnalité distinctive et des motivations propres qui les menaient au K2. Dans le cas de Mario et Maxime, être les premiers Québécois à fouler le sommet du K2 était central. Hugues avaient déjà grimpé le Nanga Parbat, et quelques autres 8000 m. Le K2 était la suite logique dans son esprit. Quant à Antoine, je pense qu’il désirait alors gagner sa vie avec la montagne, comme guide ou quelque chose du genre. Je me rappelle qu’Antoine était une force de la nature. Solide, rapide et fort. Olivier finissait sa médecine et aspirait à devenir un médecin de montagne. Cette expédition lui servait de tremplin et l’aidait à comprendre ce qui venait avec une expédition lourde. Moi? Je cherchais probablement, inconsciemment, à flatter mon égo et à mousser ma gloire personnelle.
La vie au K2
Quelques jours après avoir atteint le camp de base, je me souviens d’une démonstration de Mario sur la sortie de crevasse. Il nous avait alors dit : «Sachez que tout ce que l’on fait ici, a pour but de mener Maxime et moi au sommet du K2. » Ce fut alors un reality check pour moi… Bien que j’avais accepté le rôle d’alpiniste de soutien, j’espérais tout de même avoir ma chance dans l’éventualité où l’un ou l’autre des Québécois, serait dans l’incapacité de pousser plus haut. L’avenir allait me péter ma balloune!
Le lendemain, nous avons effectué une reconnaissance au pied de la voie normale. Une marche d’environ 2h sur un glacier avec une traverse plus que douteuse, pour ne pas dire carrément effrayante. Ce fut un autre reality check qui a permis de constater que le K2 ce n’est pas l’Everest. C’est non seulement moins achalandé, mais aussi moins organisé. Le « route finding » est, disons, plus aléatoire! Après cette escapade, il était évident qu’il faudrait partir très tôt le matin, voire de nuit, afin de profiter d’une neige plus solide et plus sécuritaire.
Premiers pas sur la montagne des montagnards
Deux jours plus tard, nous avons pris la route du camp 1 (C1). Le plan était que Mario, Maxime, Lakpa et Chumba iraient y passer la nuit, alors qu’Olivier moi ferions l’aller-retour question de filmer, photographier et documenter le tout. Une grosse journée de 12 ou 13h au programme avec près de 1000m D+. Selon mes souvenirs, il faisait chaud. Même si l’ascension allait bon train, nous étions souvent victimes de petites avalanches et éboulis de roches qui auraient pu nous entrainer dans une longue chute. Maxime gardait le sourire et encourageait l’esprit d’équipe. Mario semblait plus poussé par la performance et l’atteinte de l’objectif. Le sommet semblait vraiment lui importer. Nous avons tous atteint le C1 tôt en après-midi. Après une courte pause, Olivier et moi avons entrepris le chemin du retour.
En 2006, peu d’équipes étaient présentes au K2. Hormis nous, un groupe de Russes, quelques Italiens, des Japonais, un Irlandais et un Polonais, composaient l’ensemble des équipes présentes. Tous, sauf les Japonais, étaient sur la voie normale alors que les Nippons avaient opté pour la voie Cesen. Nous les trouvions d’ailleurs très jeunes et ils nous semblaient peu expérimentés.
À la fin de notre descente du C1, alors que nous marchions sur le glacier en direction du camp de base, une grosse avalanche s’est décrochée de la montagne dans la route Cesen. Olivier et moi nous sommes réfugiés derrière une roche mais la neige s’est arrêtée avant de nous atteindre. Inquiet pour les deux Japonais, j’ai communiqué avec le camp de base afin de vérifier s’ils étaient dans la voie. Quelques longues minutes plus tard, nous avons appris qu’ils étaient sains et saufs au CB.
La nuit au C1 pour Mario et Maxime et a été mouvementée. Balayé par les vents, le duo a très peu dormi et Maxime est incommodé par ce qu’Olivier pense être une légère pneumonie. De retour au CB, nous faisons le point. Quel est le plan match à partir de maintenant? Il est convenu que Mario ira au C2 avec Chumba et que Maxime ira le rejoindre dans quelques jours si sa santé lui permet. C’est à ce moment que j’ai su que je n’irai pas plus loin. Peu importe l’état de santé d’un ou l’autre des grimpeurs. J’ai avalé ma pilule et, malgré la déception, gardé mon sang froid. Mario s’est mis en route pour le C2 et nous avons suivi son périple sur les radios. L’ascension entre le C1 et le C2 a été longue pour Mario. C’était semble-t-il très technique et la roche décrochait à tout instant. De plus, Mario semblait démotivé par la perte de son partenaire. Sa nuit au C2 a été celle des grandes décisions.
La fin pour moi
Quant à moi, j’avais pris la mienne. Je retournais à la maison. J’avais pris des arrangements et deux porteurs étaient venus me rejoindre au CB. Je connaissais le chemin de retour. Il n’était pas de tout repos et j’avais opté pour le faire en 2 jours au lieu des 4 normalement requis. Oh que ce fut difficile! Une première journée de 12h, lourdement chargé vers la base d’un col. Une seconde de 18h, tout aussi chargé avec le passage d’un col à 6000m, plus une longue marche de 40km. Je suis arrivé au village d’Askole complètement déshydraté! J’y ai acheté un 2L de Coke à 10$ que j’ai callé d’un trait. Un autre litre d’eau plus tard, je me suis couché complètement exténué dans ma tente. Malgré les 3L de liquides ingérés, je n’ai pas uriné avant le lendemain! Deux jours plus tard, j’étais de retour à Islamabad où j’ai fait devancer mes vols pour Montréal. Bref, en moins d’une semaine j’avais fait le saut du CB du K2 au centre-ville de Montréal.
À Islamabad, j’ai appris que 4 Russes avaient perdu la vie sur la montagne. Aussi, que seules 4 personnes avaient atteint le sommet cette saison-là, dont les deux jeunes Japonais que je jugeais « inexpérimenté ». Comme quoi expérience et âge ne sont pas nécessairement reliés! L’équipe de Nazir Sabir m’a également informé que mon équipe avait décidé de plier bagages. Le C2 et la perte de Maxime ayant eu raison, semble-t-il, de la motivation de Mario.
Poursuivre une nouvelle voie
Amaigri (j’avais perdu 35 livres) et déprimé, j’ai pris quelques jours pour décanter et identifier le vide qui m’habitait. Une chose était dorénavant claire, je voulais des enfants. Toutes ces expéditions n’avaient aucun sens car j’en revenais vide, avec une seule idée, repartir. Qu’est-ce que je fuyais? Que restait-il de tout ça? Bref, je revenais avec plus de questions que de réponses alors que les voyages doivent servir à former la jeunesse! Je me suis rendu à l’évidence que je n’étais pas aussi jeune que je le croyais. Je voulais quelques choses de durable dans ma vie et non finir mes vieux jours à radoter mes histoires de vieux sénile de la montagne dans un CHSLD. Avoir des enfants était un revirement à 180 degrés pour un semi-vieil égoïste comme moi!
Pendant un certain temps, je suis resté amer de cette expédition. J’ai éventuellement perdu contact avec tous les membres de l’aventure à l’exception d’Olivier, qui est plus tard devenu le parrain de ma plus jeune fille. J’ai éventuellement retrouvé mes assises et mes priorités. Avec l’aide de ma blonde, j’ai perdu une partie de l’égocentrisme qui m’habitait (même si elle est parfois d’un autre avis!) et je tente maintenant de concilier vie de famille et mini-expéditions.
Super article! Pourquoi la décision de ne plus grimper est venue aussi vite? Que s’est-il passé comme discussions? Si ce n’est pas trop indiscret… 🙂
En fait – je n’ai pas cessé de grimper. L’arrivé des enfants ont mis une pause à la grimpe intensive et à ma recherche « identitaire ». J’ai grimpé encore après le K2, et je grimpe encore à l’occasion. Ma passion n’est plus la même ça c’est indéniable. Ce qui est derrière moi c’est les grosses expés sur plusieurs mois.
Ah non, je voulais dire vraiment ponctuellement au K2! On dirait que la décision est venue vraiment vite, mais qu’est-ce qui a poussé l’équipe et toi même à ne pas aller au C2 par exemple?
Dans le fond, pourquoi tu n’as pas pu continuer à faire l’ascension de la montagne?
Ah – là je vois… Je n’ai pas eu le feu vert des deux leaders de l’équipe. C’était leur expé et je devais me plier à leurs règles.
Tu me semble pas trop vieux Ian… J’ai 43 ans, des enfants de 18 et 15 ans. J’étais encore à Larouche la semaine passé avec mon plus jeunes qui en redemande encore et très bon grimpeur en plus. Je me considère encore jeune même si je n’ai pas encore mis à l’épreuve mes formations HM-1 et HM-2. Je m’imagine avec mon gars sur un glacier dans quelques années… Faut pas arrêter de rêver!
Pas tant une question d’âge (47) que de priorités. Mes enfants sont beaucoups plus jeunes c’est pourquoi je grimpe beaucoup moins. Je compense par autre chose…
En tout cas, beau texte Ian encore. Je t’ai lus souvent. J’ai lus Rousseau aussi, Dutil, Jean, Laforest et Messner et bien d’autre. Assurément que chaque personne qui ont vécus avec la montagne (sans parler de 8000), pourrait témoigner que cette dernière était nécessaire à leur équilibre dans un moment ou l’autre de leur vie. Pour assurer une progression vers autre chose j’imagine… « Que reste t’il de l’alpiniste? » peut-être la chance d’en être un? Bon, voila c’est dit! 😉
Il te reste un forum mec…
Ian: Comme FX Garneau le dit si bien, l’escalade c’est un virus. Crois-moi, ça va revenir plus tard, et le POURQUOI JE GRIMPE va évoluer lui aussi. Mais le virus, désolé mais t’es poigné avec!
Pourquoi tout le monde pense que je ne veux plus grimper? J’ai moins le temps maintenant, mais je grimpe encore… et je vais re-grimper plus quand j’aurai plus de temps. Les 8000m, ca c’est du passé cependant. Plus aucun intérêt!
Que reste-t-il de l’apiniste?
Pourquoi tout le monde pense que je ne veux plus grimper?
Pourquoi tant de questons??
Ian, est-ce que tu vois le Dr.Maynard plus souvent depuis qu’il est parrain d’un de tes kids? Je pensais le nommer parrain d’un des écureuils dans le bois chez nous pour réussir à obtenir un peu de son temps. Qu’est-ce que t’en pense?
Pas certain que ca marche. Pense pas qu’il aille le même amour les écureuils qu’il a pour ma fille…