Par Jean-François Girard
En 2001 Benoit Marion et Bernard Maillot ont ouvert deux lignes complètement sorties de l’espace sur le Pic de l’Aurore à Percé: Moby Dick et Double 7. Deux voies redoutables, tant au niveau technique que psychologique, sur un mur de calcaire friable rouge et déversant, surmonté de glaçons roses aux formes variables évoquant les pétales d’une fleur ou les formes étranges des créatures du fond des mers. En 15 ans, aucune répétition outre que par l’ouvreur lui-même (Benoit) et Damien Côté qui regrimpaient Moby Dick et essayaient une autre ligne entre les deux voies existantes, mais en vain.
Damien me disait toujours au sujet du Pic de l’Aurore que c’était effrayant, que rien dans tout ce qu’il avait vu (et il en a vu) ne ressemblait à ça. « Le pic de l’horreur! Ça fait peur! c´est malade! Il y a des glaçons suspendus partout et Ben en a fait tomber un gros comme un autobus. »
L’an dernier Carl Darveau et moi sommes allés tenter l’ascension de Moby Dick (M7 WI5+ 190m). Carl repéra rapidement les premières plaquettes de Moby Dick que nous suspections être rouillées et désagrégées par les embruns salins mais, à notre grande surprise, l’exsudat rougeâtre de la pierre semble avoir émaillé les plaquettes les préservant ainsi de toute dégradation dues aux intempéries. Même que cette couleur rouille donne un charme particulier à ces communes plaquettes fixes. Au relais j’ai entrepri la deuxième longueur et après 5 plaquettes, sur une immense terrasse, plus rien! Stupéfait, j’ai tenté une traverse d’une vingtaine de mètres pour arriver nulle part. Plutôt que de faire un autre essaie, nous avons opté pour monsieur Talisker au Pub le Pit Caribou.
En comparant les photos de 2001 et de 2015 nous nous sommes rendu compte qu´une assiette (ou pan de mur pour les plus négatifs) de 50mX10mX2m c’était envolé d’un élan définitif pour aller rejoindre l’abysse de l’Atlantique. Élémentaire mon chère Watson! La ligne n’existe plus pour l’alpiniste, elle préfère se blottir sur le lit marin auprès des oursins et étoiles de mer.
Obsédé à l ´idée de grimper ce mur, nous avons zyeuté compulsivement les multiples tracés possibles avec l’optimisme du juvénile qui espère scorer à son deuxième rendez-vous, mais avec aussi l’appréhension de se voir encore une fois « refuser l’entrée ».
Le 15 mars à 4h30 pm, nous sommes au pied du mur, caméra à la main, nerveux et donnant à voix hautes nos interprétations sur où ça passera demain. Check là, shit, wow, la fissure, ça passe. Pas sûr, le glaçon il est loin. Ouin mais y’a un piolet inversé. Mais la roche est pourrie. Ok on va dormir là-dessus.
Campé à l’auberge Au Coin du Banc accompagné par la nonagénaire Mme Lise, on regarde les photos et l’évidence nous saute aux yeux: une ligne s’est formée dans les 2 derniers mois entre Double 7 et Moby Dick. Exactement là où Ben et Damien avaient essayé il y a de ça plusieurs années. Étant donné le décès de mon ami Ben l’automne dernier, et que je voulais lui rendre un hommage à ma façon, cela m’apparaissait comme un signe. Ben nous avait sculpté cette œuvre d’art, juste pour nous et bien à sa façon.
Insomnie, 16 mars 8h30 nous sommes à pieds d’œuvre, en fait nous œuvrons déjà à équiper la ligne et à juger du meilleur itinéraire. Tout à coup, des bruits d’obus sifflent dans l’air, la température a augmenté à notre insu délogeant quelques blocs martiens menaçant nos beaux casques Petzl bien assortis aux couleurs de nos manteaux. RETRAITE! Dans ce temps-là il vaut mieux aller prendre un thé avec Mme Lise, c’est plus sûr et après tout la chaleur d’un feu et une bonne histoire du temps où le monde avait encore du temps, ça compte aussi.
Insomnie (encore!), 17 mars 8h30, nous revoilà à pieds d’œuvre, piolets entres les dents, les tripes qui serrent, le Valhalla pourquoi pas!
Comme une transe hypnotique la voie se passe comme sur un nuage, chaque mouvement est parfait, la température est parfaite, le cœur bat au bon rythme, déjà le sommet dans un bruit de mer. Accolade, sourire, nous ne sommes plus une équipe, nous sommes des frères.
L-1 WI 5 85m
L-2 M7+ WI 7- 30m
L-3 WI 6+ 7- 45m
L-4 coulée de neige 25m
L-5 Crux, Le Pti Caribou, rencontre avec monsieur Talisker.
Un Aller Simple pour Mars se veut un hommage au grand Ben Marion, qui nous a quitté cet automne.
Merci à Carl Darveau, mon best.
À Dany Julien, pour son soutien technique et les photos
Mme Lise et l’Auberge du Coin du Banc pour le réconfort et la chaleur
Et Mountain Hardwear pour me permettre de ne plus user mon imperméable Coleman que j’utilisais jadis en guise de coquille.
Bel hommage les bros! 😉
Ok, alors ça n’a pas juste l’air malade, C’EST malade 🙂
Super récit…à l’auteur et votre gang… BRAVO!
C’est plaisant de lire tes aventures.
Tu es notre Fred Pélerin du vertical.
Félicitation!
Merci ! Mon plus beau commentaire sur EQ !
Beau travail les gars, félicitation!
Wow! Ça décoiffe! Belle ligne et bel hommage!
Cheers à vous et à Ben.
C’est mon cousin! C’est mon cousin!! Wow ! Quel bel accomplissement. Je suis jaloux que les gènes de couilles n’aient pas été distribués plus équitablement dans la famille, mais au fond c’est mieux comme ça, ça fait de meilleures histoires! Bravo les mecs!
Hahahahahahahahah! Merci !
Tabarslack. J’aime bien le bout de l’assiette. Question JF, ça prend une corde longue comment et combien de vis pour faire une longueur de 85m en WI5?
Ca prend un second qui grimpe en meme temps et 5 vis …. c`est la fin du pitch qui donnait la difficulté , 4m de chamoignons déversant…. le reste tres mince mais facile .
Félicitations! La ligne passe où exactement mettons que quelqu’un voudrait aller la faire?
Wow…. Quel film!!! Chapeau les boyz!
@Momentum, de quel film tu parles?
Le film de cette ascension q’ont a vu à Grimpe en ville 2017 …. Du stock digne d’être présenté au FFBanf à mon avis 😉
Oh que j’aimerai voir ça! Espérons que ca ira en ligne avant longtemps!