Par François Bédard
6h00 du matin, la température est de -8, l’air est frais mais chaud en même temps. Ils annoncent une journée magnifique. Je m’installe dans ma voiture avec mon petit café entre les jambes et je monte tranquillement chez Mathieu à St-Tite-des-Caps. Depuis quelques années déjà, nos sorties en escalade se font de plus en plus rares. On essaye de concilier travail, famille et escalade. Mes sorties de grimpe se font certes plus rares, mais je tente de miser sur la qualité et non la quantité.
J’aime bien ce petit moment de tranquillité le matin où l’on peut réfléchir à la journée qui s’en vient et à la chance qu’on a de pouvoir pratiquer ce sport incroyable. J’arrive bientôt à destination. C’est mon dernier arrêt avant de partir pour notre projet de la journée sur une des falaises les plus attrayantes de la région de Québec: le Gros Bras dans le parc des Grands Jardins.
Avec les années, je ne compte plus les belles grimpes que j’ai faites sur cette montagne. À chaque fois, j’y ai mon lot d’aventures et de péripéties qui me rappellent à quel point j’aime cette falaise et son style particulier. C’est une paroi qui livre ses secrets petit-à-petit, après chaque nouvelle montée et chaque nouveau projet. Une falaise où ce n’est pas si facile d’y progresser rapidement, particulièrement l’hiver. Il devient alors difficile d’atteindre le sommet en plein jour. On tombe presque toujours sur des sections engagées où les fissures se referment et où la protection devient précaire, voire inexistante. Les fissures gelées par le froid rendent la protection difficile à placer et on peut y perdre un temps précieux lors de ces journées bien courtes de l’hiver québécois. Tous ces facteurs combinés font, à coup sûr, un bon défi d’escalade et d’aventure hivernale. De longues journées à travers les collines boisées de Charlevoix.
Lorsque je me retrouve sur cette falaise, il me vient presque toujours à l’esprit, au moins une fois dans la journée des pensées comme « merde qu’est-ce que je fous là », ou bien, « putain! pourquoi se donner autant de misère pour avoir du plaisir. » Et quand je dis misère, il faut mettre le tout en contexte. Mes précieux partenaires et moi-même, on sait s’y prendre parfois pour pimenter le tout! Genre… deux grimpeurs avec une seule frontale… Ou bien perdre un crampon durant l’ascension alors qu’il reste deux longueurs (combiné aux deux grimpeurs une frontale). Y’a aussi le classique : partir pour la journée pas d’eau, pas de nourriture. Sans oublier le « shit, elles sont où les raquettes? » Bref, je vous épargne les détails, mais je fais certes parti du palmarès des grimpeurs mal organisés du Gros Bras! Ça doit être un triangle de quelque sorte ou bien le magnétisme d’Eudore Fortin qui nous fait partir avec autant d’enthousiasme, mais si peu organisé!
Aujourd’hui on y va pour Andante, une voie que je veux faire depuis longtemps. Elle a été réalisée pour la première fois l’hiver par mon défunt ami Yannick Girard et son ami de toujours Stéphan Plamondon. Paix à toi mon vieux chum, tu nous manques tous, on s’ennuie, on t’aime. Il fait beau en Ce début de journée, on se fait chauffer au soleil et on se trouve chanceux d’être là avec de si bonnes conditions. On réalise assez rapidement Mathieu et moi, qu’il ne faut pas trop trainer dans la première longueur. Le couloir plus haut, réchauffé par le soleil, dirige tout ce qui se détache de la falaise sur nous. La petite cheminée du départ nous met dans l’ambiance du Gros Bras. C’est un passage où la protection est précaire, mais tout y est pour nous aider à sortir notre corps de cette petite cheminée. Ceci nous permet ensuite de progresser sur de grosses marches jusqu’à la base du mur de rencontre. On aperçoit bien notre ligne dans un dièdre encaissé qui finit par traverser sur la gauche. On grimpe dans ce beau système et, vu l’orientation de la paroi, le soleil nous a quitté depuis une vingtaine de minutes déjà. Le rocher reste humide et l’odeur de mousses et de champignons nous accompagne à chaque mouvement dans cette magnifique longueur en M6. Elle nous permet, dans une ambiance exceptionnelle, de monter sur l’éperon du mur de rencontre et de rejoindre une petite vire. La protection y est bonne et le dièdre est très technique avec de petits pas délicats sur le granite.
La troisième longueur, que je crois être un 5.8, mais qui s’avère être un 5.9, tombe bien dans les bras. J’arrive à sortir mon derrière d’un petit toit exposé. Les coincements de piolet y sont excellents, mais la gravité fait son œuvre alors que les prises de pied s’amenuisent. De toute beauté. Une voie impressionnante avec une ambiance incroyable où la qualité du rocher est exceptionnelle. Tout comme le dit le guide « magnifique »! Quand même coriace cette longueur de 5.9 l’hiver. La noirceur arrive vite et Mathieu me rejoint tant bien que mal dans la pénombre, par ce qu’évidemment j’ai oublié ma frontale… Généreux de nature, Mathieu me prête la sienne pour le lead. Je repars aussitôt. On ne se souvient pas trop de ce que le guide dit alors on fonce pour le sommet. À mi-chemin, je suis un peu perdu. J’ai gardé ma gauche dans un système ou la protection est comment dire… « merdeuse? ». Je trouve finalement, après plusieurs mètres, une pointe de rocher à étrangler et je m’engage sur une dalle. Je commence à regretter mon choix de ligne quand soudainement ma frontale se décroche pour atterrir sur mon nez. C’est à ce moment précis que je me relate ma rengaine incontournable citée plus haut : « mais qu’est-ce que je fous là? »
Je décide de dégrimper de quelques pas pour afin de replacer la lumière sur mon casque. En l’installant, je lui donne son coup de mort. L’élastique reste étirer de tout son long comme un vieil élastique de bobette « Fruit Of The Loom » porté depuis 1994. À ma défense, je ne suis certainement pas le premier à lui étirer la face! Mais bon, je n’ai pas ma frontale alors je ne peux pas me plaindre. J’arrive à la réinstaller et finalement, j’opte pour une sortie plus à droite qui me fout moins les boules.
Les derniers mètres sont dans les arbres jusqu’au sommet. Matt me rejoint et on se fait notre traditionnelle étreinte et on est bien content de notre ascension. Le vent souffle puissamment ici et on sent que la nuit sera froide et glaciale. Le sourire aux lèvres, on se trouve bien chanceux d’avoir pu profiter de cette douce journée d’hiver. Le retour se fait dans la neige jusqu’aux cuisses avec quelques bonnes débarques dans des trous d’arbres.
Après une grosse heure et demie de marche, lorsqu’on sort enfin du bois pour rejoindre le stationnement de la Sépaq, notre corps tout entier nous parle. On se traine péniblement jusqu’à la voiture. On se sent bien vivant, fatigué mais satisfait. Dans la voiture en revenant c’est plutôt tranquille. Notre anticipation du matin fait place à quelque chose d’unique : la quiétude de cette journée en montagne et l’adrénaline ressentit durant l’ascension. Un bonheur simple mais tellement vrai, se sentir là, à l’endroit qu’il faut, au bon moment.
L’escalade apporte à chaque grimpeur quelque chose d’un peu différent mais je crois qu’on est tous un peu drogué à ces moments d’extrême communion avec la nature. C’est le moment où le présent se vit à chaque seconde.
Cool journée.
Comme je les aime.
Merci François. 🙂